Remonter

 Quand l'Union Européenne tue l'Europe par Raoul Marc Jennar

 

1 .Quel est le statut de ce texte baptisé « Constitution » ?

2. La Constitution est-elle neutre philosophiquement ?

3. La Constitution est-elle neutre idéologiquement ?

4. Le principe de la souveraineté du peuple est-il respecté par la Constitution proposée ?

5. La Constitution offre-t-elle des garanties pour l'indépendance et la neutralité de la Commission européenne ?

6.La Constitution représente-t-elle « un pas en avant » social ?

7. La Constitution permet-elle l'existence de services publics ?

8. La Constitution offre-t-elle la garantie de pouvoir mettre en oeuvre une politique étrangère et de défense européennes ?

9. La Constitution protège-t-elle les Européens contre la mondialisation néolibérale ?

10. Comment pourra-t-on modifier la Constitution dans l'avenir ?

11. Par rapports aux traités en vigueur, en quoi la Constitution apporte-t-elle des éléments positifs ?

12. Quelles seraient les conséquences du rejet de la Constitution proposée ?

    Une formidable régression qui consacre une restauration conservatrice

 

INTRODUCTION

Je suis irréductiblement attaché à l'idée d'Europe. Parce que cette idée recèle un modèle original, unique, de structuration des rapports humains. C'est dans l'espace européen que sont nées à la fois l'exigence des droits individuels créateurs de la liberté, mais également la revendication des droits collectifs qui organisent la solidarité. Cette double exigence n'a été formulée nulle part ailleurs sur notre planète avant qu'elle le soit par les Européens. Elle fonde l'Europe. Si l'Europe sans la liberté n'est pas l'Europe, l'Europe sans la solidarité, ce n'est pas davan­tage l'Europe.

    Je me suis attaché, dans un livre paru il y a peu (Europe, la trahison des élites, Paris, Fayard, 2004), à démontrer, exemples con­crets à l'appui, le caractère hémiplégique de ce qu'il est convenu d'appeler « la construction européenne. » Tout pour le commercial, l'éco­nomique, le financier; rien ou très peu pour le social, le fiscal, l'environnemental. Des pou­voirs de plus en plus considérables concen­trés dans des mains de moins de moins en moins contrôlées. Des traités et des directives qui expriment les attentes des intérêts privés sans que le service de l'intérêt général soit pri­vilégié, ni même protégé. Des comportements impérieux, arrogants et égoïstes dans les négociations internationales au service exclu­sif des patrons européens, au mépris des droits des peuples.

   La parution de mon livre, en avril 2004, a sus­cité un grand intérêt dans le mouvement social. J'ai été convié à m'exprimer devant de très nombreux auditoires en Belgique, en France, au Grand Duché de Luxembourg. Le texte définitif du traité constitutionnel n'avait pas encore été adopté et seule était connue ce que beaucoup appelaient « la Constitution Giscard ». La question du mode de ratification par la France n'avait pas encore été tranchée. Les élections européennes toutes proches réveillaient l'intérêt pour les questions euro­péennes, même si beaucoup déclaraient vou­loir s'abstenir. Les interrogations du public étaient nombreuses et les débats furent très ouverts. Ma participation, en rue et sur les marchés, à une collecte de signatures en faveur d'une pétition réclamant, en France, l'organisation d'un référendum pour la ratifica­tion du traité constitutionnel m'a également permis d'entendre un grand nombre de réflexions et de questions.

    La campagne électorale pour le renouvelle­ment du Parlement européen fut, elle aussi, un moment particulièrement enrichissant pour l'observateur. J'ai été pour ma part stupéfait et consterné par la présentation caricaturale que des journalistes et des acteurs politiques ont donné, pendant cette campagne, du projet de traité constitutionnel. Singulièrement parmi ceux qui se réclament d'un certain nombre de valeurs dites de gauche, chez des sociaux démocrates comme chez les Verts, le souci de faire dire à ce projet ce qu'il ne dit pas et de dissimuler ce qu'il dit, la volonté délibérée de brouiller les cartes ont été poussés à un degré consternant pour tous ceux qui pensent que le débat politique n'exclut pas l'honnêteté intel­lectuelle. Les mêmes poursuivent leur travail de désinformation dans la perspective du réfé­rendum de ratification.

   Enfin, les élections elles-mêmes et, à leur sui­te, le comportement des gouvernements et des partis politiques ont nourri la réflexion. Sur 350.873.420 électeurs inscrits pour l'élection du Parlement européen, 201.401.343, soit 57,4% ont choisi de ne pas s'exprimer. Et les 732 députés élus ne tirent leur légitimité que d'un tiers de l'ensemble de la population euro­péenne. Les citoyens sont lucides. Ils savent qu'il leur est impossible d'influencer les déci­sions européennes. Ils savent qu'ils n'ont aucun moyen d'approuver ou de désapprou­ver les commissaires européens qui disposent d'énormes pouvoirs comme le commissaire au commerce, négociateur unique au nom de 25 Etats dans les négociations à l'OMC et dans toutes les négociations commerciales internationales ou le commissaire à la concur­rence qui dispose tout à la fois de pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires ou encore le commissaire au marché intérieur qui entend mettre fin à l'autonomie des pouvoirs locaux et supprimer les services publics dans toute l'Europe. A quoi bon déléguer la souveraineté populaire à des représentants dépourvus de réels pouvoirs de contrôle sur l'exécutif le plus puissant d'Europe ?

   Les gouvernements et les partis politiques n'ont pas tiré les leçons de cette abstention massive. Ils se sont gardés de l'expliquer par le refus de plus de deux cent millions de per­sonnes de participer à la comédie d'une démocratie au rabais. Les gouvernements ont approuvé, après l'avoir modifié ici et là, le pro­jet de traité constitutionnel dont le débat élec­toral avait pourtant indiqué à quel point il ne répondait pas aux attentes des peuples. Pour présider la Commission européenne, ils ont choisi le premier ministre portugais, un des grands battus des élections du 13 juin, un homme qui incarne une droite conservatrice (son hostilité à l'égalité homme-femme et son exigence d'une référence au christianisme dans la Constitution), néolibérale (partisan de l'Etat minimum, il a poussé à la privatisation de la santé et de la distribution de l'eau; il a été désigné comme «Global Leader for Tomorrow » par le Forum économique mon­dial de Davos), atlantiste (il a organisé un som­met aux Açores entre les partisans de l'inva­sion de l'Irak).

   En un mot, les gouvernements ont choisi, pour incarner l'Union européenne, un profil politique radicalement éloigné des idéaux européens. Les partis politiques quant à eux ont repris les pratiques médiocres qui détour­nent de la démocratie. La social-démocratie, après avoir fait campagne pour une « Europe sociale », qu'elle n'a pas concrétisée quand elle en avait la possibilité politique, s'est aco­quinée avec le principal groupe de droite, le plus hostile à toute Europe sociale, pour parta­ger entre eux tous les postes clés du Parlement européen.

Afin de faciliter la réflexion sur un document confus et pléthorique, particulièrement ardu à lire et à comprendre, j'ai donc choisi de répondre aux questions que j'ai entendues le plus souvent.

L'ensemble institutionnel baptisé « Union européenne » incarne une Europe qui ne cor­respond guère à l'Europe espérée et promise il ya une cinquantaine d'années.

   Ratifier la Constitution adoptée par les Chefs d'Etat et de gouvernement aura pour effets de renforcer, de légaliser et de pérenniser une Europe qui est de moins en moins européen­ne et qui s'identifie de plus en plus au modèle de société développé aux Etats-Unis.

    L'analyse qui suit se base sur la version consolidée provisoire (avec une numérotation provisoire) établie par le secrétariat de la conférence intergouvernementale, après approbation du texte par les Chefs d'Etat et de gouvernement, à Bruxelles, le 18 juin 2004 (CIG 86/04 du 25 juin 2004) ainsi que sur la version consolidée provisoire des protocoles annexés au traité établissant une Constitution pour l'Europe et de ses annexes I et Il (CIG 86/04 ADD 1) et enfin sur la version consoli­dée provisoire des déclarations à annexer àl'Acte final de la Conférence intergouverne­mentale (CIG 86/04 ADD 2). Pour la compré­hension des références, il faut savoir que le traité est composé de quatre parties numéro­tées en chiffres romains (I, Il, III, IV) et compo­sées d'articles numérotés en chiffres arabes. Lorsque ce chiffre est suivi d'une virgule elle­même suivie d'un autre chiffre, ce dernier indique le paragraphe de l'article auquel il est fait référence (par exemple: 1-51, 1 ).Après la signature solennelle du texte par les Chefs d'Etat et de gouvernement à Rome, le 29 octobre 2004, commence la période pen­dant laquelle cette Constitution doit être rati­fiée dans chacun des 25 Etats de l'Union. Ce processus de ratification se termine avant le 1 er novembre 2006.

    Les enjeux du choix -dire oui ou non à cette Constitution -sont tels pour notre génération, mais aussi pour celles qui viennent, qu'il appartient aux citoyennes et aux citoyens de se prononcer. D'autant que dans aucun des Etats, les élus nationaux n'ont été investis d'un pouvoir constituant, lors du dernier scrutin en date dans chaque pays. Lorsque le référen­dum n'est pas prévu par le droit national, il est toujours possible d'organiser une consultation de la population ayant valeur indicative.

 

Mosset, 21 août 2004

 

  1   QUEL EST LE STATUT ET LA PORTEE DE CE TEXTE BAPTISE « CONSTITUTION » ?

1. Cette « Constitution » n'émane pas d'une assemblée constituante

    Ce qu'on entend, en démocratie, par Constitution fait obligatoirement référence à un processus d'élaboration dans lequel le texte érigé en norme juridique suprême trouve sa légitimité.

    Une Constitution classique résulte des débats publics d'une assemblée constituan­te élue à cet effet et au sein de laquelle se manifeste la volonté souveraine du peuple. Chaque fois que la communauté internatio­nale, par l'intermédiaire de l'ONU, est appe­lée à aider un peuple à reconstituer un Etat, son rôle consiste à organiser l'élection d'u­ne assemblée constituante chargée de rédi­ger une Constitution.

Cette exigence démocratique n'a pas été satisfaite pour la rédaction de la Constitution européenne dont une large part du texte résulte des travaux d'une assem­blée cooptée: la Convention.

     Les membres de celle-ci ne détenaient de la part des électeurs aucun mandat pour rédi­ger une Constitution. Le texte final soumis à ratification n'est que le produit de négocia­tions entre gouvernements.

    On ne se trouve donc pas en présence du processus démocratique d'élaboration d'u­ne Constitution. Il s'agit d'un traité interna­tional improprement dénommé « Constitu­tion ». Les conditions d'élaboration de la Constitution européenne lui enlèvent toute légitimité en tant que Constitution.

 

2. Elle ne consacre pas la souveraineté populaire

    Qu'est-ce qu'une Constitution ? À l'origine, tant pour les insurgés du Nouveau Monde que pour les acteurs de la Révolution fran­çaise, une Constitution traduit la volonté populaire de mettre fin ou de prévenir toute forme d'arbitraire et consacre ce principe affirmé et concrétisé au XVllle siècle: tous les pouvoirs émanent du peuple.

    Le texte proposé, au contraire, retourne aux temps obscurs où les puissants, source de la légitimité et de l'autorité, octroyaient ici ou là quelques libertés selon leur bon plaisir. .. et leurs intérêts. Il nous ramène à la concep­tion de l'Etat qui prévalait sous l'Ancien Régime, quand le monarque gouvernait ses sujets par droit divin.

 

3. Ce n'est pas un texte court, simple, compréhensible par tous

    Une Constitution définit les modalités d'un vouloir vivre en commun. Elle détermine les droits et libertés des citoyennes et des citoyens et organise les pouvoirs dans l'Etat, l'étendue de leurs compétences et la manière dont ils sont constitués. Elle arrête des principes dont la loi organise la mise en oeuvre. Erigée en norme suprême, elle indique les procédures de vérification de la conformité des autres normes à ces princi­pes. C'est donc forcément un texte simple, clair, précis et court. Le seul texte de la Constitution proposée compte 453 articles.

    Il est complété par 36 Protocoles, 2 Annexes et 39 Déclarations. Au total 765 pages (format A4). Dans certains cas, la compréhension et l'interprétation des arti­cles de la Constitution réclament le recours aux Protocoles, Annexes et Déclarations. Le texte est à ce point confus et inintelligible qu'on a pu assister sur un plateau de télévi­sion au spectacle déroutant de deux juristes de même sensibilité politique s'opposer sur l'interprétation qu'il fallait donner de l'une ou l'autre disposition !

 

4. Elle consacre la prééminence des décisions européennes

      Pourquoi baptiser « Constitution » un traité européen ? La charge symbolique est forte puisqu'une Constitution, dans l'architecture du droit interne, c'est le texte suprême, celui qui s'impose à toutes les autres normes et auquel celles-ci doivent se conformer. On veut donc accorder à ce nouveau traité européen la prééminence accordée à la loi suprême dans le droit de chaque pays.

    Certes, la prééminence du droit européen est à la base du principe de supranationalité déjà inscrit dans le traité de Rome de 1957 et confirmé par deux arrêts célèbres de la Cour de Justice des Communautés euro­péennes qui ont consacré la primauté du droit communautaire en cas de conflit avec le droit national. Cette prééminence est confirmée par l'article 1-5 bis de la Constitution proposée: « La Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union dans l'exercice des compéten­ces qui lui sont attribuées ont la primau­té sur le droit des Etats membres » . Même un règlement adopté par la Commission aura prééminence sur la Constitution et les lois des Etats membres.

 

5. Elle érige en normes constitutionnel­les ce qui relève de choix politiques cir­constanciels

    Une Constitution énonce des principes qui s'imposent à l'ensemble des normes (lois, décrets, arrêtés, etc.). Les modalités de leur mise en oeuvre lui sont étrangères. Or, la Constitution proposée va beaucoup plus loin. Elle formule des choix qui relèvent de la loi, voire du règlement. Elle inscrit des orientations qui procèdent non pas des caractéristiques permanentes d'une socié­té, mais d'options conjoncturelles, liées à des choix partisans que les électeurs ou les circonstances peuvent modifier.

   Ainsi, par exemple, il ne revient pas à une Constitution d'ériger en « libertés fonda­mentales » les principes de libre établisse­ment et de libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux (art 1-4) et d'en définir les modalités d'application (111-18 à 111-65), ni d'arrêter le détail d'une coopération judiciaire et policiè­re (111-170 à 178) qui ne peut rester figée, ni d'empêcher une limitation du transport rou­tier en croissance exponentielle (111-137), ni de décréter que la politique commerciale commune doit contribuer à la suppression des restrictions aux investissements étran­gers directs (111-216). En inscrivant de tels choix dans un document auquel on confère une valeur constitutionnelle, on s'efforce d'imposer des orientations qui appartien­nent au temps de la législature, mais qui ne pourront plus être désavouées par le suffra­ge universel. Dans des matières mouvan­tes, parfois controversées, la Constitution proposée impose des orientations qui ne pourront plus faire débat. Ce faisant, elle porte atteinte à la démocratie.

 

6. Elle ne détermine pas les frontières de l'Union européenne

    Une Constitution classique définit le territoi­re sur lequel elle s'applique. Aucune dispo­sition n'est consacrée au territoire. La Constitution proposée ne définit pas les frontières de ce qu'elle appelle Union euro­péenne : « L'Union européenne est ouverte à tous les Etats européens » (1-1,2 et 1-57), mais aucune définition n'est donnée de ce qu'est un « Etat européen » .La Constitution proposée se limite à l'énumération des Etats signataires (IV-4,1 ). Ceux qui propo­sent l'adhésion du Liban et d'Israël, voire des pays du Maghreb, peuvent donc pour­suivre leurs efforts de dilution du projet européen dans une simple zone de libre ­échange.

 

7. Elle exclut une citoyenneté européen­ne qui ne soit pas liée à une nationalité

     La Constitution refuse de consacrer l'exis­tence d'un peuple européen car elle serait alors contrainte de reconnaître sa souverai­neté. Elle donne de la citoyenneté euro­péenne une définition (art. 1-8) très étriquée et confirme ainsi que la source des pouvoirs

européens ne réside pas dans les peuples unis d'Europe, mais procède des Etats. La citoyenneté européenne demeure liée à la nationalité d'un Etat membre, ce qui revient à nier tout accès à une citoyenneté euro­péenne de résidence pour ceux qui ont durablement résidé sur le sol européen. Or, la citoyenneté européenne se définit par les droits politiques qui sont reconnus par l'Union sur son sol et non par l'identité natio­nale. Pourquoi dès lors refuser ces droits à des ressortissants d'Etats tiers établis de longue date sur le sol européen et mettre fin ainsi à une discrimination faite à leur égard et déjà consacrée par la disparité des codes de la nationalité des différents Etats memb­res ?

 

8. Elle ne protège pas les pouvoirs régio­naux et locaux

    Parce qu'une Europe centralisée n'est pas conforme à la réalité européenne, une authentique subsidiarité est indispensable (gérer chaque matière au niveau le plus effi­cace : Commune, Association de Commu­nes, Département/Province, Région, Etat, Europe). Elle implique la définition des attri­butions de chaque niveau de pouvoir si on veut empêcher que l'Union européenne puisse modifier les compétences des pou­voirs locaux ou régionaux comme la Commission européenne en manifeste l'in­tention ainsi que l'atteste le document I P/02/1180 du 31 juillet 2002. La Constitution proposée ne consacre pas l'existence des Régions autrement que par la mention d'un comité consultatif baptisé « Comité des Régions » (art 1-31,2) qui, bien que composé d'élus, n'a guère été jusqu'ici écouté par la Commission, le Conseil et le Parlement. Quant aux Communes, elles sont totalement ignorées par cette Constitution. Les Régions comme les Communes font partie de la réalité euro­péenne. Elles s'enracinent très profondé­ment dans son histoire la plus lointaine. Pour être protégées contre les agressions de la Commission européenne, elles doi­vent être officiellement reconnues dans un texte auquel on entend conférer un statut constitutionnel.

S'agit-il dès lors d'une Constitution au sens généralement donné à ce terme en droit public ? En aucun cas.

 

 

 2   LA CONSTITUTION EST -ELLE NEUTRE PHILOSOPHIQUEMENT ?

    En 2003, le Vatican et un certain nomb­re de gouvernements qui, ce n'est pas un hasard, comptaient parmi les plus néolibéraux (Espagne, Irlande, Italie, Pologne et Portugal) ont fait pression pour exiger, une référence explicite au christia­nisme parmi les valeurs fondatrices de l'Europe. Cette démarche, qui a retenu l'at­tention des médias, a occulté des disposi­tions autrement plus dangereuses concer­nant les rapports entre les cultes et les pou­voirs publics européens. Pendant qu'on dis­trayait l'attention sur les valeurs fondatrices, le principe d'une Europe laïque, seul cadre pos­sible pour une cohabitation paisible entre croyants et non croyants, était remis en cause.

   Dans un Etat moderne, répondant aux prin­cipes énoncés dans la Déclaration univer­selle des droits de l'Homme, dans le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et dans le Pacte interna­tional relatif aux droits civils et politiques, la Constitution a pour devoir de garantir la neutralité de la sphère publique, condition indispensable à l'exercice du droit de « tou­te personne à la liberté de pensée, de cons­cience et de religion » (article 18 de la Déclaration universelle).

La Constitution offre-t-elle cette garantie de neutralité ? Deux articles permettent d'en douter:

   a) L'article Il-10 proclame le droit de toute personne à la liberté de pensée, de cons­cience et de religion. Ce qu'on ne peut qu'approuver. Mais le même article poursuit: « Ce droit implique la liberté (. ..) de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseigne­ment, les pratiques et l'accomplissement des rites ».II s'agit d'une disposition qui met fin à l'idée de neutralité des espaces et bâti­ments publics et des personnels occupés dans la fonction publique. Ainsi formulée la liberté religieuse consacre le retour en force du religieux dans la sphère publique.

    b) L'article 1-51,1 affirme: « L'Union respec­te et ne préjuge pas du statut dont bénéfi­cient en vertu du droit national, les églises et les associations ou communauté religieu­ses dans les Etats membres ». Ce qui signi­fie que l'Union prend acte des dispositions nationales réglant les rapports entre les confessions religieuses et les pouvoirs publics. Un deuxième paragraphe présente une disposition identique pour les « organi­sations philosophiques et non confession­nelles. » Mais le paragraphe 3 du même article ajoute « Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union main­tient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations. »

Le caractère anodin de cette formulation recouvre en fait un choix majeur. La Constitution rejette le principe de la laïcité des institutions européennes et impose un régime spécifique de relations entre les égli­ses et l'Etat: celui du culte reconnu. Un tel régime comporte des implications très pré­cises, comme la possibilité pour les pou­voirs publics européens de subventionner ces églises érigées en partenaires de ces pouvoirs publics.

 Cet article 1-51, dont l'origine se trouve dans une déclaration (nO11) annexée au traité d' Amsterdam, constitutionnalise une pra­tique discrétionnaire de la Commission européenne inaugurée sous la présidence Delors et poursuivie sous celles de Santer, puis de Prodi consistant à accorder de l'ar­gent public à des organisations confession­nelles, comme par exemple l'Opus Dei. Cet article 1-51 répond à l'attente, formulée pen­dant les travaux de la Convention, par Joseph Homeyer, Evêque de Hildesheim et président de la Commission des Episcopats de la Communauté européenne qui deman­dait le dialogue prévu au paragraphe 3, mais aussi une ,( consultation prélégislative. »

La Constitution européenne réduit à néant des siècles de luttes pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat. En ces temps où renais­sent les intolérances religieuses consécuti­ves aux efforts de reconquête des espaces publics par les religions, la Constitution pro­posée consacre cette régression.

Comment conjuguer la prééminence de cet­te Constitution européenne instaurant un système de cultes reconnus avec l'article 1 de la Constitution française qui affirme que la France est une République laïque ?

 

3   LA CONSTITUTION EST -ELLE NEUTRE IDEOLOGIQUEMENT ?

    Certaines Constitutions sont neutres dans la mesure où elles se limitent strictement à organiser la répartition des pouvoirs et à énumérer les droits et devoirs des citoyens. D'autres -les plus modernes -consacrent l'existence de droits individuels et de droits collectifs et confèrent aux pouvoirs publics l'obligation d'en garan­tir le plein exercice.

    Le projet de Constitution européenne confè­re la personnalité juridique à une Union dotée du pouvoir de coordonner les législa­tions des Etats membres (art. 1-1,1-5 et 1­5bis), en respectant strictement les obliga­tions qui garantissent, d'une manière non discriminatoire, « la libre circulation des per­sonnes, des biens, des services, des capi­taux, ainsi que la liberté d'établissement des investissements» (1-4, 1-3,2).

Les droits et obligations relatifs aux droits fondamentaux des personnes ne sont garantis par l'Union que dans la mesure où ils ne limitent pas cette « libre circulation » (1-4, 1-5, Il-Préambule, Il-51, Il-52). Ainsi donc, les élites ont établi une nouvelle hié­rarchie des normes qui consacre la préémi­nence de la compétition sur la solidarité.

    Aucun des cinq traités n'affirmait avec autant de force le projet idéologique qui sous-tend la construction européenne: la concurrence est l'origine des ressources. À plusieurs reprises, le texte affirme que l'Union européenne se fonde sur le « res­pect du principe d'une économie de mar­ché la concurrence est libre et non faussée » (art. 1-3,2,111-69 et 111-70), que le développement de l'Europe est fondé sur une économie de marché « hautement com­pétitive » (art. 1-3,3). Le fait que cette écono­mie soit qualifiée de « sociale » est dénué de tout sens dès lors que la définition des minima sociaux est absente du texte. D'ailleurs, en dehors de l'article 1-3,3, l'ad­jectif « social » ne qualifie plus l'économie de marché dans les articles où celle-ci est explicitée (111-69, 111-70,111-77). La compéti­tion individuelle est le fondement des rela­tions humaines.

    Le libre-échange fait partie intégrante de 1'«intérêt commun» des Européens (art. 111-69 à 71 ). La loi absolue du marché n'est plus une option à soumettre aux électeurs. C'est désormais un élément de l'acquis commu­nautaire. À ne plus discuter.

La Constitution proposée consacre le triom­phe absolu des dogmes monétaristes qui ont pourtant conduit plusieurs pays à la catastrophe. La Banque centrale européen­ne (BCE) échappe à tout contrôle (1-29,3 et 111-80). Sa mission prioritaire est d'assurer la stabilité des prix (1-29,2). Protectrice des banques privées, la Constitution proposée interdit à la BCE d'accorder des crédits aux pouvoirs publics qui sont priés de s'adres­ser au secteur privé (111-73).

    On se croirait dans le monde rêvé par Thatcher et Reagan! Ce n'est pas une Constitution, c'est le manifeste du néolibé­ralisme !

 

 4   LE PRINCIPE DE LA SOUVERAINETE DU PEUPLE EST -I L RESPECTE PAR LA CONSTITUTION PROPOSEE ?

La Constitution renforce-t-elle le carac­tère démocratique des institutions européennes alors que près de 50 ans de " construction européenne » ont maté­rialisé un déclin des pratiques démocra­tiques ?

    Le fondement de la démocratie réside dans la souveraineté populaire. Pour qu'un Etat soit démocratique, il faut que soit affirmé dans sa Constitution et qu'il soit vérifié que tous les pouvoirs émanent du peuple ET DE LUI SEUL. Le peuple est l'unique source de l'aIJtorité. Hors de ce principe, point de démocratie.

    En décidant de transférer des attributions jusque-Ià exercées dans un cadre où s'ap­plique ce principe vers un cadre dit suprana­tional où, pendant des décennies, on ne s'est pas soucié de l'appliquer, on a provo­qué un déclin de la pratique démocratique. Tous les observateurs en conviennent. Ils ont même créé une expression empruntée au langage comptable pour désigner ce phénomène: déficit démocratique. Tous les gouvernements s'en sont accommodés et ils continuent.

 

a) 25 peuples soumis à une Commission et un conseil des ministres incontrôla­bles

    La Constitution proposée confirme et conforte une extraordinaire concentration de pouvoirs à un ensemble formé par le Conseil des Ministres (soit aujourd'hui 25 gouvernements coalisés, demain 27 voire 28) et la Commission. Face à cette concen­tration de pouvoirs, pour créer l'équilibre indispensable, il fallait reconnaître l'existen­ce d'un peuple européen souverain et lui permettre d'être représenté comme tel par un authentique parlement. La Constitution le refuse. Dès lors, face à la concentration de pouvoirs formée par les institutions euro­péennes, que pèse la souveraineté du peu­ple alors qu'elle demeure tronçonnée entre 25 entités en outre dépouillées de toutes les compétences transférées à l'Union européenne ?

    L'inévitable tension existant entre gouver­nants et gouvernés au sein d'un Etat est exacerbée par le fait qu'aujourd'hui chacun des peuples est confronté aux décisions pri­ses non pas par son seul gouvernement, mais par la coalition permanente de 25 gou­vernements et d'une Commission irrespon­sable devant lui. L'équilibre péniblement atteint et toujours fragile réalisé dans le cad­re national n'a pas été transposé au niveau européen. Il est rompu. La démocratie en est d'autant affaiblie.

 

    En plus, est impossible de sanctionner col­lectivement le Conseil des Ministres, c'est­ à-dire l'instance européenne de décision par excellence. Ce collège n'est responsa­ble ni devant le Parlement européen, ni devant les parlements nationaux.

    La Constitution pervertit l'idée même de démocratie: elle affirme que l'Union euro­péenne est fondée sur les valeurs de démo­cratie (art. 1-2) alors qu'elle écarte la condi­tion de base de tout système démocratique : la source unique de la souveraineté rési­de dans le peuple. On nous dira que les pouvoirs considérables des institutions européennes émanent, indirectement, des élus nationaux. Certes, les peuples délè­guent la souveraineté aux élus qui la délè­guent à leur gouvernement qui la délègue au Conseil des Ministres européens qui en délègue une grande partie à la Commission européenne laquelle n'est pas responsable devant les peuples. Quand la délégation des pouvoirs se transmet ainsi à un deuxième, puis à un troisième et ensuite à un quatrième degré, on n'est plus dans un système démo­cratique. Ce n'est plus qu'un ersatz de démo­cratie. La délégation poussée à ce stade devient un instrument de dilution de la souve­raineté populaire et donc de la démocratie.

    De plus, la Constitution proposée consacre le passage de la démocratie à la technocra­tie. À l'article 1-25, elle confie à la Commission, c'est-à-dire à un aréopage irresponsable de technocrates au service des milieux d'affaires, la garde de 1'" intérêt général,' et la " représentation extérieure de l'Union ".

 

b) des réformettes qui ne corrigent pas le recul démocratique

     Le " déficit démocratique " est loin d'être cor­rigé par les quatre nouveautés inscrites dans la Constitution présentées comme de gran­des avancées démocratiques par ceux qui veulent à tout prix qu'on se rallie à ce texte :

   1. Le droit de pétition (art. 1-46,4). Un million de citoyens européens " peuvent prendre J'initiative d'inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyennes et citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution. " Cette initiative citoyenne est limitée à ce qui est prévu par la Constitution. La Commission en fait ce qu'elle veut. Rien n'indique qu'elle soit contrainte de donner suite à la pétition. Ce qui signifie que si, par exemple, un million de citoyens deman­daient que la distribution d'eau ne soit pas privatisée, une telle proposition, à supposer -belle et longue bataille d'interprétation en perspective -qu'on accepte de considérer qu'elle s'inscrit dans le cadre de la Constitution, pourrait très bien être envoyée à la poubelle par la Commission au motif

qu'elle a fait le choix de privatiser la distribu­tion de l'eau et qu'elle a obtenu le soutien des gouvernements. Bel exemple des dés­informations auxquelles s'aventurent les défenseurs de ce projet de Constitution, Mme Noëlle Lenoir, alors ministre française déléguée aux Affaires européennes du gou­vernement Raffarin Il, n'a pas craint d'affir­mer: " Il suffira de rassembler un million de signatures en Europe pour obliger la Commission à entamer une procédure législative 1 ". Il s'agit là d'une présentation

totalement mensongère, car il n'y a aucune obligation pour la Commission. Dans une version plus douce de l'intox, les Verts font croire que " un million de citoyens pour­raient proposer par pétition une loi euro­péenne2 ". C'est une tromperie. Le texte de la Constitution fait état d'une " proposition sur des questions pour lesquelles ces citoyennes et citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire. " Entre conférer un droit d'initiative législative, comme le font croire les Verts français, et soumettre à l'avis discrétionnaire de la Commission une proposition, il y a une mar­ge considérable. D'ailleurs, rien n'autorise à affirmer que la pétition devrait automatique­ment déboucher sur une loi. La Constitution évoque " un acte juridique ". Or, la défini­tion des actes juridiques de l'Union donnée par l'article 1-32 mentionne que le règle­ment, la décision, la recommandation et l'a­vis sont aussi des actes juridiques. Il faut signaler que la CIG a modifié la formulation de cette disposition dans un sens qui laisse totalement dans le flou la latitude de la Commission en présence d'une telle péti­tion. Déplorons également que la Constitution n'a pas institué au niveau euro­péen la possibilité d'un référendum. C'est-à-­dire une consultation populaire contraignan­te qui aurait pu s'appliquer en premier lieu à l'adoption et à la révision de la Constitution. D'autant que cette dernière, en son article 1­1, se réclame de " la volonté des citoyens de bâtir leur avenir commun ". Une volonté à laquelle on se réfère, mais à laquelle on refuse le droit de s'exprimer.

    2. La procédure de désignation de la Commission européenne. Certains3 n'hési­tent pas à affirmer qu'elle sera " issue du suffrage universel". C'est solliciter beau­coup les textes. Qu'en est-il exactement ? La prétendue élection du président de la Commission européenne par le Parlement européen est une parodie de démocratie, puisqu'il est très précisément indiqué (art. 1­26, 1) que «le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de prési­dent ,'. Ce sont les gouvernements qui choi­sissent et, ensuite, le Parlement est prié d'entériner. S'il refuse -et il en a le droit ­les gouvernements doivent proposer un aut­re candidat. La seule nouveauté, c'est qu'il est indiqué qu'ils doivent tenir compte du résultat des élections, c'est-à-dire qu'ils doi­vent choisir un candidat susceptible d'être accepté par la majorité du Parlement euro­péen. Quant aux autres Commissaires, ils sont proposés par le Président désigné aux gouvernements qui en dernier ressort acceptent ou refusent la liste présentée. Le Parlement entérine ce choix après avoir auditionné les candidats, dans un système qui s'inspire des auditions du Congrès amé­ricain. En réalité, on a instauré pour la dési­gnation de la Commission une sorte de co­décision entre les gouvernements et le Parlement européen. Mais c'est tromper les Européens que d'affirmer que la Commission serait « issue du suffrage uni­versel )'. S'il en était ainsi, elle serait égale­ment comptable devant les citoyennes et les citoyens. Ce qui n'est pas du tout le cas.

   3. L'extension des matières pour lesquelles le Parlement sera associé à la procédure de codécision. Certes, cette extension est réel­le. On va passer de 37 matières à environ quatre-vingt. Mais la Commission garde le monopole de l'initiative: « un acte législatif ne peut être adopté que sur proposition de la Commission, sauf dans les cas où la Constitution en dispose autrement ), (art. 1-25). Le Parlement européen n'a tou­jours pas le droit de proposer des textes législatifs, alors qu'il s'agit d'une des fonc­tions de base de l'institution parlementaire.

   4. La possibilité pour un tiers des Parlements nationaux (9 sur 25) d'obliger la Commission à réexaminer une de ses pro­positions lorsqu'elle concerne une matière pour laquelle s'applique le principe de sub­sidiarité (art. 1-9, 3 et protocole sur l'applica­tion des principes de subsidiarité). Mais la Commission peut maintenir sa proposition. D'autant qu'elle est investie du pouvoir de « veiller à l'application des dispositions de la Constitution '). Il faut alors que ces neuf Parlements nationaux introduisent une action devant la Cour de justice européen­ne. On voit dans quels enlisements procé­duraux et judiciaires un choix politique contraire à celui de la Commission risque d'être enterré.

    5. La publicité des séances du Conseil des ministres lorsqu'il agit comme législateur (art. 1-23,5 et 1-49,2). Ainsi donc, le Conseil des ministres va tenir des réunions publiques lorsque son ordre du jour sera uniquement consacré à l'adoption d'une loi européenne. On voudrait faire croire qu'il s'agit là d'une percée démocratique trans­formant le Conseil en une sorte de Parlement. Mais la confusion ainsi créée entre l'enceinte intergouvernementale par excellence et la fonction parlementaire indique les limites d'un tel exercice. Celui-ci n'aura pour effet que de dissimuler les oppositions idéologiques ou politiques der­rière les oppositions entre États.

 

c) un Parlement européen qui cautionne sans contrôler

   Sans minimiser l'importance de l'extension des matières pour lesquelles le Parlement européen sera associé, il faut convenir que ces réformettes ne parviennent pas à dissi­muler la médiocrité persistante des pouvoirs de ce Parlement au regard des exigences de base d'un système démocratique.

    Historiquement, les assemblées parlemen­taires ont été créées pour voter les recettes et les dépenses. Ensuite, elles ont exercé une fonction législative. Et dans les systè­mes démocratiques les plus avancés, elles exercent une fonction de contrôle de l'Exécutif. Qu'en sera-t-il du Parlement européen si la Constitution est ratifiée ?

    En lisant l'article 1-19,1, on a le sentiment que la Constitution crée un authentique par­lement : « Le Parlement européen exerce, conjointement avec le Conseil, les fonctions législative et budgétaire. Il exerce des fonc­tions de contrôle politiques et consultatives dans les conditions fixées par la Constitution. Il élit le Président de la Commission » .On dispose, avec cet article d'un bel exemple de cette démocratie en trompe l'oeil que propose la Constitution à ratifier. On vient de lire que le Parlement « élit le Président de la Commission » .Mais on a vu que l'article 1-26,1 indique que ce sont les gouvernements qui choisissent le candidat à la présidence.

    Ce que la Constitution fait semblant d'établir ici, elle le dément là. Ainsi, il se trouvera toujours une possibilité de faire dire à ce document ce qu'il ne dit pas et de taire ce qu'il dit. Ce qui vaut pour « l'élection » du Président de la Commission vaut pour l'ensemble des pou­voirs du Parlement.

    Le Parlement votera-t-il les recettes de l'Union ? Il ne détermine pas les types de ressources propres de l'Union. Il donne seu­lement son avis sur les propositions de la Commission. Par contre, les modalités de perception des ressources, telles que pro­posées par la Commission, doivent être approuvées par le Parlement. En fait, comme il n'y a pas d'Europe fiscale, les pouvoirs du Parlement européen sont plus que modestes en la matière. Il lui est totalement impossible de lutter contre la fraude fiscale ou contre le dumping fiscal devenu une réalité de grande ampleur avec l'élargissement.

    Le Parlement adoptera-t-il les budgets de l'Union ? Le budget est préparé par la Commission et adopté par le Conseil des Ministres. Il est ensuite soumis au Parlement où il est soit approuvé tel quel, soit amendé. Dans ce dernier cas, il faut que les modifications apportées fassent l'objet d'un accord entre le Conseil et le Parlement pour que le budget soit définitive­ment adopté. C'est un des rares progrès apportés par la Constitution dans la mesure où le Parlement se prononce sur la totalité du budget.

    Dans quelle mesure le Parlement sera-t-il législateur ? Il ne sera jamais législateur unique. Il sera, dans un nombre accru de matières, colégislateur. Mais il faut convenir qu'il s'agit là d'une caractéristique commu­ne de la démocratie parlementaire: rares sont les cas, même s'ils existent, où un par­lement impose un texte contre l'avis ou sans l'accord du gouvernement. Ce qui affaiblit considérablement le Parlement européen en tant que pouvoir législatif, c'est qu'il lui est interdit de proposer ses propres textes sur quel que sujet que ce soit. Il peut demander à la Commission de lui soumettre un texte, mais les parlementaires ne peu­vent pas proposer au débat des textes dont ils seraient les auteurs

.   En outre, il n'a pas le droit de légiférer dans une série de matières où seul le Conseil des Ministres est législa­teur. Ce qui revient à réduire le Parlement à une assemblée qui cautionne des choix décidés au niveau de l'Exécutif.

    Le Parlement exercera-t-il un contrôle effec­tif sur les choix politiques et le fonctionne­ment des autres institutions européennes et en particulier de la Commission ? C'est dans ce domaine que le Parlement euro­péen reste extraordinairement faible. En fait, la Constitution n'apporte rien de nou­veau par rapport aux traités existants. Le Parlement peut exercer un contrôle de conformité des actes de la Commission et donc enquêter sur des fautes de gestion. Il ne peut orienter les choix politiques propo­sés par la Commission et approuvés par le Conseil des Ministres.

    Il ne peut désavouer individuellement un Commissaire. S'il estime que les conditions sont réunies pour sanctionner un Commissaire, il est contraint de désavouer l'ensemble de la Commission. Et pour ce faire, il doit réunir une double majorité for­mée par les deux tiers des suffrages expri­més et la moitié des membres de l'assem­blée (111-243). La Commission, qui remplit des tâches éminemment politiques, n'est pas soumise à un contrôle clairement poli­tique de la part des parlementaires. Ces limites laissent une marge de manoeure immense aux membres de la Commission qui ne sont guère enclins à rendre des comptes. C'est d'ailleurs ce qu'avaient sou­ligné les cinq sages dans le rapport qu'ils ont déposé peu avant la démission de la Commission Santer : « il devient difficile de trouver quelqu'un qui ait le moindre sentiment d'être responsable4 ». En fait, c'est l'ensemble du système institutionnel qui est en crise. Mais la Constitution n'y por­te pas remède.

    A regret, un seul constat s'impose: plus on avance dans la construction européenne, plus on recule dans le respect des principes démocratiques. Le Parlement européen, abusivement présenté comme le siège de la souveraineté populaire, n'est qu'une carica­ture d'institution parlementaire.

 

 

5    LA CONSTITUTION OFFRE- T-ELLE DES GARANTIES POUR L'INDEPENDANCE ET LA NEUTRALITE DE LA COMMISSION EUROPEENNE ?

   L'évolution démocratique amorcée au XVllle siècle a conduit chaque Etat à organiser en son sein, avec plus ou moins de bonheur, les équilibres nécessai­res de telle sorte qu'à toute influence s'op­pose une influence contraire afin de privilé­gier l'intérêt général. Selon la formule célèb­re, " il faut que le pouvoir arrête résolument le pouvoir » .

   On mesure généralement les progrès de l'intégration européenne au degré d'indé­pendance conféré aux institutions dites communautaires, c'est-à-dire, principale­ment, la Commission européenne. Plus son degré d'autonomie se renforce, plus l'inté­gration avance, affirme-t-on. Mais on ne prend en compte que l'autonomie de la Commission par rapport aux Etats memb­res. On ne s'intéresse jamais à l'autonomie de la Commission par rapport aux groupes de pression. On ne se soucie guère du rôle de la Commission comme gardienne de l'in­térêt général. Ce rôle est-il effectivement assuré ? L'observation des faits démontre le contraire.

    La Constitution proposée affirme que « la Commission promeut l'intérêt général et prend les initiatives appropriées à cette fin »

(1-25,1) et " exerce ses responsabilités en pleine indépendance » et que ses membres « ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucun gouvernement ni institution, organe ou organisme » (1-25,7).

    Or, comme j'en ai fait la démonstration dans Europe, la trahison des élites, la Commission européenne est actuellement le pouvoir exécutif le plus perméable aux milieux d'affaires, aux groupes de pression patronaux. C'est le bras politique européen des firmes privées et des organismes finan­ciers. Il suffit de comparer -ce que les médias ne font jamais -les propositions de ces milieux avec les propositions de la Commission. Il suffit de relever -ce que les médias ne font presque jamais -les propos que tiennent les Commissaires européens lorsqu'ils sont invités à la tribune des groupes de pression patronaux ou lorsqu'ils s'expri­ment dans des enceintes comme l'OCDE, le FMI, la Banque Mondiale ou l'O MC.

    Il est difficile de considérer que la Commission <, promeut l'intérêt général »quand ses membres s'engagent devant les patrons à suivre leurs recommandations. Ainsi, le Commissaire au commerce de la Commission Prodi, le social-démocrate français Pascal Lamy, déclarait devant l'as­semblée d'un des plus puissant groupes de pression du monde des affaires, le TransAtlantic Business Dialogue (TABD) : <, Les relations de confiance et les échan­ges d'informations entre le monde des affai­res et la Commission ne seront jamais nom­breux. (...) Nous consentons de grands efforts pour mettre en œuvre vos Recommandations dans le cadre du parte­nariat économique transatlantique et, en particulier, il y a eu des progrès substantiels dans les nombreux domaines sur lesquels vous avez attiré notre attention. (...) En conclusion, nous allons faire notre travail sur la base de vos Recommandations5 »

    Il est encore plus difficile de croire à l'indé­pendance d'une Commission qui sollicite des milieux d'affaires des instructions. Le même Pascal Lamy, devant les mêmes patrons déclarait: « Nous ferons ce que nous avons à faire d'autant plus facilement que, de votre côté, vous nous indiquerez vos priorités (. ..) Je crois que le monde des affaires doit aussi parler franchement et convaincre que la libéralisation du commer­ce et en général la globalisation sont de bonnes choses pour nos peuples6. ..»

Etrange indépendance que celle d'une Commission dont les membres entretiennent des liens étroits avec des cercles aussi sec­rets que la Commission Trilatérale ou le Groupe Bilderberg, par exemple! Dans ces clubs fort particuliers se retrouvent les plus puissants hommes d'affaires, des banquiers, un certain nombre de décideurs politiques, des universitaires et quelques journalises réputés pour leur influence sur l'opinion ainsi que le secrétaire général de l'OTAN ou enco­re le directeur général de 1'0 MC.

Ils entendent, dans l'ombre, influencer les décisions politiques et diriger le monde. Ils n'hésitent pas à remettre en cause l'ordre démocratique « Quelque chose doit rem­placer les gouvernements et le pouvoir privé me semble l'entité adéquate pour le faire» , déclarait David Rockefeller, fonda­teur du Bilderberg puis de la Trilatérale 7. Parmi les travaux de doctrine qui ont inspiré l'offensive en faveur de l'Etat minimum, on trouvait un rapport de la Commission Trilatérale intitulé The crisis of Oemocracy dans lequel on pouvait lire: « Il y a des limi­tes désirables à l'extension de la démo­cratie politique ». Ces deux clubs sont les véritables architectes de la mondialisation néolibérale.

Le Président de la Commission européenne Romano Prodi a été membre du comité de direction du Groupe Bilderberg. Une che­ville ouvrière de ce groupe est un ancien vice-président de la Commission, le vicomte belge Etienne Davignon, grand liquidateur de la sidérurgie européenne, ancien prési­dent de la Société Générale de Belgique, membre du Conseil d'administration de très nombreuses sociétés. Deux des membres les plus importants de la Commission Prodi, MM. Lamy et Monti, participaient aux réuni­ons du Bilderberg en 2001 et 2003. Monti avait été membre du comité de direction de Bilderberg de 1983 à 1993. D'autres memb­res de la Commission Prodi ont participésoit aux travaux de la Trilatérale (Pedro Solbes Mira, Chris Patten) ou du Groupe Bilderberg (Franz Fischler, Erikki Liikanen, Gunther Verheugen, Antonio Vitorino). José Manuel Barroso, le nouveau président de la Commission, était un des invités du Groupe Bilderberg en 2003.

La Constitution crée-t-elle une incompatibili­té entre la fonction de Commissaire euro­péen et la participation aux activités de groupes et de réseaux d'influences délibé­rant à huis clos sur des projets qui visent àsoumettre les Etats et les peuples à la toute puissance des firmes privées ? Aucune.

 

 6  LA CONSTITUTION REPRESENTE- T-ELLE UN PAS EN AVANT » SOCIAL ?

Le Secrétaire général de la Confédération européenne des syndi­cat a déclaré que « la Constitution représente un pas en avant pour les tra­vailleurs » (Le Monde, 17 juillet.2004). Il y aurait donc progrès. On juge d'un progrès par rapport à un acquis. Quel est notre acquis au moment où cette Constitution nous est proposée ?

Notre acquis est constitué par les textes fondamentaux que sont la Déclaration uni­verselle des droits de l'Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et poli­tiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Notre acquis est également constitué par les textes adoptés dans le cadre de l'Organisation Internationale du Travail qui résultent de négociations entre les Etats, les organisations patronales et les organisa­tions syndicales. On pense en particulier aux huit conventions sociales de base. Tous ces textes ont été signés et ratifiés démo­cratiquement par tous les Etats qui faisaient partie de l'Union européenne à la veille de l'élargissement intervenu le 1 mai 2004. Tout aussi fondamentales sont les disposi­tions constitutionnelles et légales de chaque Etat membre de l'Union européenne. C'est par rapport à cet ensemble de textes qu'il faut juger s'il y a ou non « un pas en avant » dans la Constitution européenne proposée.

La Constitution proposée indique (1- 7) que l'Union européenne adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Il n'est pas indiqué qu'elle adhère à la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, ni au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. La différence ? La Convention européenne ne créé aucun droit collectif ou social contrairement aux trois autres documents.

La Constitution proposée n'indique pas qu'elle adhère à la Charte sociale euro­péenne signée à Turin le 18 octobre 1961, ni à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989. Elle se contente de mentionner ces documents à titre d'exemples, sans affirmer qu'ils engagent l'Union. Par contre, le texte souligne « la nécessité de maintenir la com­pétitivité de l'économie » (111-103).

La « charte des droits fondamentaux de l'Union », qui occupe la deuxième partie de la Constitution proposée et qui devrait énu­mérer les droits fondamentaux reconnus aux femmes et aux hommes vivant en Europe en ce début de X Xie siècle, porte bien son nom: une charte -terme qui dési­gnait, sous l'Ancien Régime, un texte octroyant des droits concédés par les puis­sants. Ici aussi, les élites offrent aux peu­ples les droits qu'elles daignent leur recon­naître.

    Mais ce qui est plus grave, c'est que non seulement l'intitulé, mais également le contenu représentent une catastrophique marche arrière. A bien des égards, la charte des droits fondamentaux est en retrait par rapport au Pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels adopté en 1966, ratifié par tous les États invités à adopter le projet de Constitution européenne, et entré en vigueur en 1976 comme par rapport à un certain nombre de dispositions constitutionnelles et légales existant dans plusieurs pays de l'Union. D'ailleurs, dans le préambule de cette char­te, il n'est fait aucune référence à la Déclaration universelle des droits de l'Homme ou au Pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels.

    Le droit au travail, c'est-à-dire le devoir pour les pouvoirs publics de garantir ce droit, figure à l'article 6 du Pacte et à l'article 23 de la Déclaration universelle, mais également dans la Constitution de la Belgique (art 23,1 ), de l'Espagne (art.35), de la Finlande (art. 18), de la France (Préambule), du Grand Duché de Luxembourg (art. 11,4), de l'Italie (art 35 ), de l'Irlande (art.45,2), des Pays-Bas (art.19), du Portugal (art.58). Dans la Constitution qu'on nous propose, il a disparu; on l'a remplacé par « le droit de travailler » (art. Il, 15). Il ne manquerait plus que cela !

    D'autres droits, acquis de haute lutte dans certains pays européens ( Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grand Duchéde Luxembourg, Italie, Irlande, Pays-Bas, Portugal, Suède) , tels le droit à un revenu minimum, le droit à une pension de retraite, le droit aux alloca­tions de chômage, le droit à un logement décent, l'accès égal pour tous à un certain nombre de services et le droit à apprendre tout au long de la vie ne figurent nulle part dans cette Constitution et l'Union euro­péenne n'a donc aucune obligation de bon­ne fin à cet égard.

Quant au droit à la sécurité et à l'aide socia­les comme au droit aux soins de santé, ils étaient déjà consacrés en 1948 par l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi que dans la Constitution de la Belgique (art 23,2), de l'Espagne (art.41 et 43), de la Finlande (art. 19), de la France (Préambule), du Grand Duché de Luxembourg (art. 11,5), de l'Italie (art 38 ), de l'Irlande (art.45,4), des Pays-Bas (art. 20), du Portugal (art.63 et 64). Dans la Constitution proposée, ces droits sont actés dans des formules vagues qui n'offrent aucune garantie juridique. Ainsi la Constitution « reconnaÎt et respecte » (art.

Il-34) le droit d'accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux dans les États où ils existent. Comme pour l'accès aux soins de santé (art. Il-35), elle n'impose pas qu'on crée ce droit et n'interdit pas qu'on le réduise ou qu'on le supprime quand il existe. Le texte renvoie explicite­ment aux règles établies par le droit de l'Union, règles qui jusqu'ici ont le plus sou­vent servi à démanteler les systèmes de protection sociale. La formulation « recon­naÎt et respecte » est un leurre qui n'engage pas les institutions européennes.

On aurait pu, en regard des quatre dogmes libre-échangistes érigés (1-4) en « libertés fondamentales de l'Union » (liberté d'éta­blissement et libre circulation des person­nes, liberté d'établissement et libre circula­tion des services, liberté d'établissement et libre circulation des marchandises, liberté d'établissement et libre circulation des capi­taux) équilibrer le pouvoir ainsi donné au marché par des droits collectifs. On a fait le choix de les refuser.

    On le constate, la régression est nette. Il n'y a aucun « pas en avant ", mais de nom­breux pas en arrière. Cela n'empêche pas les sociaux-démocrates français Delanoë et Strauss-Kahn d'affirmer qu'il s'agit de la « déclaration des droits la plus complète et la plus moderne à ce jour qui consolide des droits sociaux très étendus. » 8

    Pis encore, les législations nationales qui, selon les pays, confèrent ces droits exclus de la Charte ne seront plus protégées, vu l'existence d'une Constitution européenne qui soumet la fonction redistributrice des Etats membres aux exigences libre-échan­gistes et monétaristes de l'Union. Les droits fondamentaux s'effacent devant la nécessi­té de traiter la politique économique comme une « question d'intérêt commun " (art. 111­71) dans « le respect du principe d'une éco­nomie de marché ouverte la concurrence est libre » (art. 111-70). Un aréopage de tech­nocrates qui n'ont jamais de comptes à ren­dre aux citoyens est chargé de la bonne exécution de ces dispositions puisque l'arti­cie 111-76,2 indique que « la Commission surveille l'évolution de la situation budgétai­re et du montant de la dette publique dans les États membres pour déceler les erreurs manifestes . On peut être certain, avec l'i­déologie dont elle a la garde, que la Commission ne manquera pas d'identifier les politiques sociales comme des « erreurs manifestes » .

    Enfin, toute proposition devra faire l'objet d'une décision unanime du Conseil des ministres dès qu'il s'agira de sécurité socia­le, de protection sociale, de protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail, de représentation et de défense collective des travailleurs et des employeurs ainsi que des conditions d'emploi des res­sortissants de pays tiers en séjour régulier (111-104,1,3)

   Certains affirment que les limites dans le domaine social sont compensées par le volontarisme du texte en matière d'emploi. C'est encore une fois de la poudre aux yeux : la Constitution proposée souligne que les politiques de l'emploi des Etats doivent respecter les grandes orientations de poli­tique économique qui sont encadrées par les exigences de l'économie de marché (111-98).

Enfin, le champ d'application de cette charte a été limité suite aux exigences des sociaux-démocrates britanniques. Les arti­cles Il-51 et Il-52 précisent que ce qui se trouve dans cette charte ne pourra s'appli­quer qu'à la législation européenne, pas aux législations nationales. Dès lors qu'il s'agit de droits fondamentaux, si limités soient-ils, il n'y a plus de prééminence de la Constitution.

Dans le préambule de la charte, un paragra­phe a, du reste, été ajouté, par rapport au texte proclamé lors du sommet de Nice, qui lie la portée de celle-ci à une interprétation restrictive formulée lors de sa rédaction. Il en résulte, par exemple, que cette charte ne pourra pas être invoquée au pays de Thatcher et de Blair pour mettre fin au tra­vail des enfants. L'Europe, pour faire quoi ? Convenons, avec l'ancien Président du Conseil constitutionnel français, Robert Badinter, que «l'Europe sociale ne progres­se pas, sauf dans les déclarations9 » .

    Comme l'observe très justement le profes­seur de droit public Serge Regourd, le projet de Constitution « remet en cause la logique des" droits créances" qui caractérisent nos systèmes nationaux: les libertés ne sont plus conçues en termes de garanties, ou de prestations à la charge de la collectivité publique et dont celle-ci dit assurer la réali­sation au bénéfice des citoyens, mais com­me de simples facultés que les individus peuvent éventuellement mettre en oeuvre, selon la logique libérale antérieure à l'émer­gence de l'État-providence. C'est donc bien d'une régression qu'il s'agit 10».

7  LA CONSTITUTION PERMET -ELLE L'EXISTENCE DE SERVICES PU BLICS ?

Certains présentent comme un immen­se progrès le fait que la Constitution reconnaîtrait enfin la notion de servi­ce public rebaptisé -jargon européen obli­ge -Service d'Intérêt Economique Général (SIEG). C'est une pure mystification.

Ou'est-ce qu'un service public ?

    Des droits fondamentaux sont proclamés. Ils garantissent l'égalité. Ils préviennent l'ex­clusion. Encore faut-il qu'ils puissent être exercés. Proclamer ces droits signifie l'obli­gation pour les pouvoirs publics d'en rendre l'exercice possible. Le droit à l'éducation, à la santé, à la culture, au travail, au loge­ment, à un minimum de moyens d'existen­ce, à l'accès à l'eau, à l'électricité, à des moyens de transport et de communication exige des pouvoirs public qu'ils en garantis­sent le service.

Proclamer un droit constitue un choix de société: celle-ci s'impose une obligation générale de consacrer les moyens néces­saires au droit égal de tous à un service don­né. La notion de service l'emporte dès lors sur celles de rentabilité et de concurrence. La collectivité, gardienne de l'intérêt général, prend en charge les coûts du service rendu à tous. C'est la base du service public tel qu'il a été conçu, avec des variantes, dans plu­sieurs pays d'Europe au cours du X Xe siè­cie. Il est devenu, au fil du temps, un instru­ment essentiel de cohésion sociale.

    La Commission européenne n'a jamais recon­nu la notion de service public. L'expression est bannie du langage eurocratique.

    Dans la Constitution proposée, la notion de « service public » est remplacée (11-36, 111-6, 111-55, 111-56) par celle, beaucoup plus ambi­guë, de « services d'intérêt économique général » (SIEG). Une nouvelle fois le texte utilise un vocabulaire qui n'exprime aucun engagement de la part de l'Union européen­ne: celle-ci « reconnaÎt et respecte l'accès aux services d'intérêt économique général tel qu'il est prévu par les législations natio­nales. ..» (11-36).

   Mais qu'est-ce qu'un SIEG ? Il n'y a aucune définition dans la Constitution proposée. Aucun chapitre spécifique ne lui est consacré.

   Il faut consulter des documents de la Commission européenne pour obtenir une définition. En fait, la Commission a provo­qué la confusion en créant l'expression de « service d'intérêt général » (SIG). Beaucoup ont pensé qu'il s'agissait d'une notion beaucoup plus proche de celle de service public, puisque la référence écono­mique était absente. C'est une erreur. La Commission a publié en septembre 2000 une « communication sur les SIG », en mai 2003 un « livre vert sur les SIG » et en conclusion du débat provoqué par ces documents, elle a publié début 2004 un « livre blanc » sur le même sujet 11. Dans

ces trois documents, la Commission indique que la notion de SIG recouvre à la fois les services marchands et non marchands, tan­dis que le concept de SIEG concerne les services de nature économique auxquels les Etats imposent des missions de service public: transports, poste, énergie, commu­nications, par exemple. Alors que la notion de SIG ne se trouve dans aucun traité, qu'elle n'est pas davantage inscrite dans la Constitution proposée, en publiant, après la conclusion des travaux de la Convention, un livre blanc sur le sujet, la Commission mont­re, une fois de plus, qu'elle entend sortir du cadre des traités. A quoi bon, dès lors une Constitution qui ne protège pas contre les abus de pouvoir d'une institution sans responsabilité devant les citoyens ?

    Il ressort de ces documents de la Commission qu'une intervention des pou­voirs publics n'entrera dans le cadre d'un SIEG que si la preuve est apportée que le marché ne fournit pas le service attendu et pourvu que le SIEG ainsi autorisé respecte les règles de la concurrence.

    Jusqu'à quel point peut-on concilier les lois du marché avec l'obligation de service ? Sur cette question cardinale, la Constitution pro­posée répond: « les entreprises chargés de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux disposi­tions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie "

(111-55). Après avoir fourni la liste des aides publiques qui sont compatibles avec la Constitution (111-56), liste qui ne mentionne ni les services publics, ni les services d'inté­rêt économique général (SIEG), la Constitution indique que les aides qui s'ap­pliquent aux transports sont compatibles avec la Constitution (111-136). Une nouvelle fois, cette Constitution présente des dispo­sitions contradictoires qui laissent tout loisir au juge d'interpréter.

   La Constitution (111-6) confie à une loi euro­péenne le soin de définir les principes et les critères économiques et financiers du fonc­tionnement de ces «services d'intérêt éco­nomique général ,'. Contrairement à ce qu'affirme le social-démocrate français, Olivier Duhamel, membre de la Convention, dans un livre 12 publié à l'issue des travaux de celle-ci, cela ne représente en aucune façon une garantie, quand on sait que le rédacteur initial de cette loi sera la Commission européenne, dont on connaît l'acharnement en matière de démantèle­ment des services publics, dans l'espace européen comme à l'O MC. Faire en outre de la Commission européenne la gardienne du respect de cette loi représente une menace supplémentaire pour les services publics, compte tenu des considérations développées à propos des SIG.

On vient de le voir, contrairement à ce que sous-entendent les sociaux-démocrates français Delanoë, Duhamel, et Strauss­ Kahn ainsi que les Verts français13, le « service d'intérêt économique général " n'est pas ce qu'il est convenu d'appeler le service public. La Constitution proposée ne le reconnaît pas et ne le protège pas. Elle met en place les mécanismes permettant de le détruire.

 

8  LA CONSTITUTION OFFRE. T .ELLE LA GARANTIE DE POUVOIR METTRE EN CEUVRE UNE POLITIQUE ETRANGERE ET DE DEFENSE EUROPEENNES ?

   La tragédie du peuple palestinien, la guerre du Kosovo, l'invasion de l'Irak et jusqu'au minuscule différend entre le Maroc et l'Espagne pour la souveraineté d'une petite Île ont illustré, jusqu'à la carica­ture, l'incapacité de l'Union européenne àintervenir comme acteur décisif dans des questions de politique étrangère.

    L'Union européenne est d'une passivité affligeante en face de drames qui requièrent pourtant une action si les valeurs qu'elle proclame ont un sens. Non pas l'action d'u­ne puissance impériale, mais celle d'un gar­dien du droit international. Ce qui pose la question d'une capacité européenne auto­nome.

   Or, la Constitution proposée prend exacte­ment le chemin inverse. Elle conforte la sub­ordination des pays européens et de l'Union européenne à la politique des Etats-Unis, pays qui exerce le contrôle politique et mili­taire de l'OTAN.

    La Constitution proposée précise que la politique de sécurité et de défense commu­ne de l'Union européenne " respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord pour certains Etats memb­res qui considèrent que leur défense com­mune est réalisée dans le cadre de l'OTAN. » Le texte précise que cette poli­tique de sécurité et de défense commune est " compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans le cadre de l'OTAN » (1-40,2). Il ajoute que " les engagements et la coopération demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'OTAN qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fonde­ment de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre » (1-40,7).

    En matière de capacités militaires, la Constitution ne parle pas des capacités mili­taires de l'Union, mais de celles de chaque Etat: " les Etats s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires » (1-40,3). Ce qui laisse la porte grande ouver­te aux interventions du complexe militaro-­industriel dans les Etats européens où il existe, mais facilite également l'accès du complexe militaro-industriel américain aux contrats nationaux d'acquisition de matériel de guerre, aucun Etat n'ayant d'obligation européenne en la matière. L'exemple des achats polonais (ce n'est pas le seul) aux Etats-Unis n'a pas servi de leçon.

La Constitution proposée renforce le projet de zone atlantique commune. Comme l'écrit Jean-Claude Casanova, un partisan du tex­te proposé, " cette Constitution consacre le triomphe politique de la Grande Bretagne puisqu'elle aboutit à(. ..) une Europe dans laquelle le Royaume-Uni serait à la fois le pivot politique parce qu'elle en aurait fixé les règles et les limites, et la charnière avec les Etats-Unis dont il est le voisin et parent. Dans l'Euramérique qui se profile, l'Angleterre tient un rôle central. ..14 » . 

 

9    LA CONSTITUTION PROTEGE- T-ELLE LES EUROPEENS CONTRE

LA MONDIALISATION NEOLIBERALE ?

 La Constitution proposée s'inscrit dans le courant néolibéral mondial appelé mondialisation néolibérale ou globali­sation. Par définition, le néolibéralisme tend à réduire les fonctions de l'Etat à des activi­tés sécuritaires. Conformément à cette doc­trine politique, la Constitution (1-5,1) « res­pecte les fonctions essentielles de l'Etat, notamment celles qui ont pour objet d'assu­rer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale ». Nulle trace de fonctions opéra­trices, régulatrices ou redistributrices dans ce catéchisme néolibéral.

On ne s'étonnera donc pas que la Constitution proposée soit particulièrement restrictive dès lors qu'il s'agit de l'intégration européenne dans les domaines fiscaux et sociaux. Les dispositions qui permettraient d'harmoniser la fiscalité directe ou l'impôt sur les sociétés, de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, contre le blanchiment d'argent ou d'empêcher le dumping fiscal ne pourront être adoptées que si tous les Etats sont d'accord. De même, les mesures favo­risant l'intégration de politiques sociales ain­si que les décisions de nature à éviter le dumping social exigeront l'accord unanime (111-62 et 104). Par contre, les dispositions destinées à concrétiser les quatre « libertés fondamentales de l'Union européenne » liées à la liberté d'établissement et de circu­lation pourront être décidées à la majorité. La Constitution proposée s'inscrit ainsi dans le droit fil des textes fondateurs de la mondiali­sation néolibérale arrêtés au sein de l'OCDE, du FMI, de la Banque Mondiale et de l'O MC.

Daniel Cohn-Bendit et Alain Lipietz, des députés européens (Verts), rejoignant le social-démocrate Pascal Lamy, proclament en chcsur que « l'Union européenne, c'est la première réponse à la faillite de l'OMC 15»

  Ils ajoutent que le choix n'est pas entre la Constitution proposée et un texte idéal, mais entre cette Constitution et les traités existants tels qu'ils sont compilés dans celui de Nice.

Or, le chapitre consacré à la politique com­merciale commune (111-216 et 217) confirme les orientations des traités antérieurs. Il ne les corrige pas, loin s'en faut. Contrairement à ce qu'affirment les libéraux de gauche, la Constitution proposée met les peuples d'Europe en état d'être complètement sou­mis aux accords de l'Organisation Mondiale du Commerce (O MC) et aux choix fonda­mentaux de société qu'ils comportent.

Pire: l'article 1-11 de la Constitution propo­sée précise que « lorsque la Constitution attribue une compétence exclusive dans un domaine déterminé, seule l'Union peut légiférer et adopter des actes juridi­quement obligatoires. » Et l'article 1-12 classe la politique commerciale commune dans le domaine des compétences exclusi­ves. Les Parlements nationaux sont donc totalement dépouillés de la moindre capaci­té d'influencer les accords commerciaux internationaux dont on sait qu'ils sont déci­sifs pour la manière dont nos vies sont régentées.

La Constitution proposée soumet bien les peuples européens à une Union européen­ne qui adhère pleinement aux objectifs de la mondialisation néolibérale. Elle consacre la prééminence d'objectifs commerciaux, éco­nomiques et financiers sur les autres aspects de la vie en société, tout en privant l'Union des pouvoirs qui lui permettraient d'agir dans des secteurs aussi importants que le contrôle et la taxation des mouve­ments de capitaux (111-45).

  En fait, avec cette Constitution (111-217), tou­tes les matières gérées par l'OMC et celles qu'on y ajoutera seront traitées à la majorité qualifiée au sein des institutions européen­nes, à l'exception des services sociaux, de santé et d'éducation. Les droits de propriété intellectuelle et l'investissement étranger direct feront également l'objet de décisions prises à l'unanimité lorsque celle-ci est requise pour l'adoption des règles euro­péennes (111-217,4). Si l'unanimité reste également requise pour la culture et les ser­vices audiovisuels, cette garantie est désor­mais conditionnée par la nécessité de prou­ver qu'il ya menace pour la diversité; en l'absence d'une telle preuve, la décision se prendra à la majorité. Il n'est pas indiqué à qui incombera la charge de prouver qu'il ya menace. Il est certain que le pays qui tente­ra de le faire sera accusé de remettre en cause un accord commercial déjà négocié et approuvé par le négociateur unique de la Commission européenne.

En dehors de ces cinq exceptions, un État seul ne pourra plus empêcher une décision si elle recueille la majorité. Il faut signaler que le projet de Constitution issu de la Convention, projet résolument soutenu par les Lipietz et les Strauss-Kahn, avait, à la demande de la Commission, abandonné l'exigence d'unanimité pour les services sociaux, de santé et d'éducation, exigence qui se trouvait dans le traité de Nice. C'est sur l'insistance de la Finlande et de la Suède que cette exigence a été rétablie par la CIG.

Le processus de prise de décision est inchangé. Le Comité 133 est maintenu. Il sera sans doute rebaptisé par son nouveau numéro (provisoirement 217). Dans le sec­ret des délibérations, à partir de documents qu'aucun parlementaire national ou euro­péen n'a le droit de consulter, des hauts fonctionnaires de la Commission et des Etats membres, c'est-à-dire des personnes qui n'ont aucune responsabilité devant les citoyens, vont continuer à procéder à des choix de société fondamentaux

  La Commission européenne, dont les pou­voirs sont ainsi considérablement renfor­cés, va être en mesure de mieux encore répondre aux attentes des milieux d'affai­res, par exemple, en favorisant l'expansion des organismes génétiquement modifiés, en poussant encore davantage les négocia­tions à l'OMC dans le sens de la libéralisa­tion des investissements, du renforcement des droits de propriété intellectuelle sur les espèces vivantes et sur les médicaments ou de la privatisation des services.

L'article 111-216, consacré à la politique com­merciale commune, constitue un exemple spectaculaire de l'orientation idéologique de ce projet de Constitution, puisqu'il assigne à l'Union " la suppression des restrictions aux investissements étrangers directs ,'. Or, au même moment, la Banque mondiale recon­naît, à partir d'une étude portant sur les investissements dans trente et un pays au cours des vingt dernières années, que la libéralisation du régime de ceux-ci ne pro­voque pas pour autant leur augmentation. Mais tel n'est pas le but de cette orientation. Les auteurs de la Constitution proposée ont simplement répondu là à une attente des milieux d'affaires, qui voudraient ne plus avoir à tenir compte des législations fisca­les, sociales et environnementales des pays où ils investissent, législations considérées comme des restrictions à leurs activités. En conséquence, adopter cette disposition de la Constitution signifie donner le feu vert au retour de l'Accord multilatéral sur l'Investissement (AMI) rejeté en 1998.

   Les effets conjugués des articles 1-12 (com­pétences exclusives de l'Union dans la qua­si-totalité des matières liées au commerce international), 111-6 (services d'intérêt éco­nomique général), 111-68 (droits de propriétéintellectuelle), 111-216 et 111-217 (politique commerciale commune) fournissent pleine­ment et durablement les moyens d'imposer les accords de l'OMC aux peuples d'Europe.

Ce projet de Constitution ne protège donc pas contre la globalisation, il nous y soumet. 

 

10 COMMENT POURRA-T-ON MODIFIER LA CONSTITUTION DANS L'AVENIR ?

    Les partisans de la Constitution proposée s'efforcent de la présenter comme un document acceptable et flexible en met­tant en avant les changements qu'ils affirment pouvoir y apporter. D'aucuns annoncent une Europe sociale qu'ils n'ont pas réalisée lors­qu'ils disposaient des majorités politiques nécessaires; d'autres promettent des amen­dements substantiels à la troisième partie de la Constitution, voire même sa sortie du texte.

    Que valent de telles promesses en forme d'ap­pâts ? Souvenons-nous de l'attrape-nigauds lancé par Jacques Delors: « acceptez Maastricht et nous ferons l'Europe sociale tout de suite après. » On attend encore et toujours.

    En fait, ils nous mentent et ils nous trompent. Parce qu'ils savent que ce n'est pas possible. La Constitution européenne proposée va pré­senter une caractéristique unique au monde : sa modification va requérir l'unanimité. C'est ce que précise l'article IV- 7 ,3: « les amendements entrent en vigueur après avoir été ratifiés par tous les Etats membres » au terme d'une pro­cédure très lourde qui comporte la réunion d'u­ne Convention suivie des travaux d'une confé­rence intergouvernementale. Un seul Etat pourra s'opposer à toute modification. Il sera plus aisé de modifier la Constitution des Etats­Unis que celle de l'Union européenne.

Certains, comme le député social-démocrate français Jack Lang 16, affirment que « l'unani­mité est de règle en droit international » .Mais alors cessons de parler de Constitution, ces­sons de conférer à un traité un statut et des pouvoirs de nature constitutionnelle, suppri­mons l'article 1-5bis! Mais chacun sait qu'il est trop tard pour modifier le texte.

     Les partisans de la Constitution proposée avancent aussi que la technique de la" clause passerelle » permettra de modifier facilement la Constitution. Le Maire social-démocrate de Paris Delanoë et le député social démocrate français Strauss-Kahn vont même jusqu'à affir­mer 17 qu'il s'agit d'une" innovation-clé qui donne à ce traité une capacité d'évolution supérieure à ses prédécesseurs » .Il s'agit en fait d'une procédure simplifiée de révision de la Constitution prévue par les articles IV- 7 bis et IV- 7 ter. Dans les matières où la Constitution prévoit que les décisions doivent être prises à l'unanimité du Conseil des Ministres, le Conseil européen (les Chefs d'Etat et de gouverne­ment) pourra décider, sans avoir recours à la procédure prévue de révision, de procéder à des modifications. Mais ce que les laudateurs de cette procédure passent sous silence, c'est que les Chefs d'Etat et de gouvernement devront être unanimes et ensuite que les modifications devront être ratifiées par tous les Etats membres.

    Misant sur l'inintelligibilité des textes et la com­plexité des procédures, les mêmes veulent fai­re croire que" ce traité est un point de départ, en aucun cas un point d'arrivée » et laissent entendre qu'une voie royale est ouverte aux changements par les coopérations renforcées. Il s'agit d'une procédure introduite dans le traité d'Amsterdam et précisée dans celui de Nice. Elle est confirmée dans la Constitution propo­sée. Les Etats qui le souhaitent -le nombre minimum n'est pas indiqué, alors que le traité de Nice le fixait à huit -peuvent décider d'une intégration plus poussée dans des politiques de leur choix, comme l'espace Schengen ou la zone Euro en fournissent des exemples.

Mais cette faculté est encadrée par 4 importan­tes limites qui interdisent de présenter cette procédure comme un argument pour surmon­ter et accepter les insuffisances de la Constitution proposée.

  1 .ces coopérations renforcées ne peuvent être envisagées que dans des domaines visés par la Constitution qui n'entrent pas dans le cadre des compétences exclusives de l'Union (111-325). Les compétences exclu­sives de l'Union sont composées des matiè­res où seule l'Union peut légiférer (1-11,1 ). Ce qui exclut toute coopération renforcée en ce qui concerne l'union douanière, les règles de concurrence dans le marché intérieur, la poli­tique monétaire dans la zone Euro, la conservation des ressources biologiques de la mer et la politique commerciale commune. En outre, l'Union dispose d'une compétence exclusive « pour la conclusion d'un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l'Union ou qu'elle est nécessaire pour lui permettre d'exercer sa compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d'affecter des règles communes ou d'en altérer la portée »(1-12,2).

  2. l'article 111-322 précise que ces coopéra­tions renforcées « ne peuvent porter atteinte au marché intérieul; ni à la cohésion écono­mique, sociale et territoriale. Elles ne peu­vent constituer ni une entrave ni une discrimi­nation aux échanges entre les Etats memb­res, ni provoquer de distorsions de concur­rence entre ceux-ci ». Si, par exemple, quelques Etats, considérant que l'eau appar­tient au patrimoine commun de l'humanité et que l'accès à l'eau potable est un droit fonda­mental pour tous, veulent adopter une dispo­sition commune faisant obligation aux pou­voirs publics de permettre l'exercice de ce droit, il ne fait aucun doute qu'une telle dispo­sition sera immédiatement qualifiée de dis­torsion à la concurrence. Elle ne pourra dès lors faire l'objet d'une coopération renforcée.

  3. c'est la Commission européenne qui apprécie la demande des Etats de dévelop­per une coopération renforcée dans un domaine donné (111-325,1 ). Quant on se rap­ pelle les orientations nettement néolibérales de la Commission, on est en droit de craindre que toute initiative renforçant un tant soit peu les pouvoirs publics sera d'emblée écartée

  4. l'article 111-325,2 précise: « l'autorisation de procéder à une coopération renforcée est accordée par une décision européenne du Conseil, statuant à l'unanimité. » Il faudra donc que les Etats qui ne veulent pas procé­der à une intégration plus poussée dans un domaine donné autorisent à aller de l'avant ceux qui l'envisagent. On imagine mal des gouvernements conservateurs accorder leur feu vert à des gouvernements progressistes.

La procédure des coopérations renforcées n'offre en rien un espoir sérieux de modifier le texte selon les procédures classiques de révi­sion d'une Constitution.

Les Verts, prétendument voués à des pratiques politiques nouvelles, se sont ingéniés à brouiller encore un peu plus les cartes et ont ajouté à la confusion des idées en prétendant qu'il était possible d'approuver telle partie du traité consti­tutionnel tout en rejetant telle autre.18

Pour qui s'en tient au texte, il ne fait aucun dou­te que la Constitution proposée est un tout à accepter ou à refuser en bloc sans espoir de pouvoir y apporter des modifications dans un avenir prévisible. Cette Constitution ferme l'avenir. Le nôtre et celui de nos enfants. Elle nous livre pieds et poings liés au monde des affaires et de la finance. Une coalition momen­tanée de gouvernements conservateurs et de libéraux de droite et de gauche impose aux peuples d'Europe et à leurs descendants un modèle de société qui incarne la victoire de l'i­déologie marchande.

Dans l'article 28 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de l'An 1 de la République française ( 1793) ,les fondateurs de la République avaient eu la sagesse et la modestie d'inscrire une disposition qui fait cruellement défaut aujourd'hui: « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. » 

 

 11  PAR RAPPORT AUX TRAITES EN VIGUEUR, EN QUOI LA CONSTITUTION APPORTE. T .ELLE DES ELEMENTS POSITIFS ?

  Pour ceux qui considèrent la construc­tion européenne comme une fin en soi ( « Tout ce qui permet de faire avancer l'Europe, j'y suis favorable 19 » , le texte pro­posé contient des « avancées indénia­bles20 ». Il réunit en un seul document les cinq traités en vigueur; le statut du traité a valeur constitutionnelle et s'inscrit au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes en Europe; la Charte des droits fondamentaux, proclamée sans statut juridique lors du som­met de Nice, y est intégrée; la présidence de l'Union est assurée d'une plus grande visibilité et d'une certaine stabilité; l'Union européenne se voit dotée de la personnalité juridique; la Commission européenne est en capacité de poursuivre son action.

   Mais fallait-il, comme le demandent très jus­tement trois députés PS, " sanctuariser cet­te règle de l'unanimité tout à la fois antidé­mocratique et terreau de l'impuissan­ce21 »? Fallait-il lui donner avec autant de force une orientation idéologique aussi mar­quée ? La version consolidée des traités réalisée après l'adoption de nouvelles dispositions offre un état complet et unique de l'ensemble des accords intergouverne­mentaux. La prééminence du droit euro­péen figure déjà dans les textes existants. Conférer une valeur juridique à la Charte des droits fondamentaux et doter l'Union européenne de la personnalité juridique pouvait se faire par un simple traité, de même que les adaptations apportées afin de permettre le fonctionnement des institu­tions de l'Union élargie.

    Quant à ceux qui ne veulent prendre en compte que les améliorations par rapports aux traités existants, ils veulent faire croire que le texte pourra être amélioré et qu'il ne représente qu'une étape, on a vu que cette interprétation est totalement erronée (ques­tion 10) ;

Quand M. Giscard d'Estaing affirme que cette Constitution sera en place" pour cin­quante ans », on peut lui faire confiance! Et pourtant trois personnalités socialistes, qui avaient déclaré être «( préoccupés par le peu de marge prévue dans la Constitution pour permettre à l'avenir d'en améliorer le contenu », appellent aujourd'hui à la soute­nir22. Si rien ne peut être changé dans les orientations idéologiques et politiques de cette Constitution, si ces orientations s'im­posent dans le droit national des États membres, alors les élections nationales per­dent tout leur sens. Les citoyens se voient dépossédés de leurs droits politiques les plus fondamentaux. Or, comme l'observe Jean-Paul Fitoussi, "le propre de la démo­cratie est de rendre les choix politiques réversibles 23» .

 

12  QUELLES SERAIENT LES CONSEQUENCES DU REJET DE LA CONSTITUTION PROPOSEE ?

    L’article IV-8 de la Constitution établit que :

 1. Le présent traité sera ratifié par les Hautes Parties Contractantes, conformé­ment à leurs règles constitutionnelles respectives. Les instruments de ratification seront déposés auprès du gouvernement de la République italienne.

2.  Le présent traité entrera en vigueur le 1 er novembre 2006, à condition que tous les instruments de ratification aient été déposés ou, à défaut, le premier jour du deuxième mois suivant le dépôt de l'instrument de rati­fication de l'Etat signataire qui procédera le dernier à cette formalité. »

    Il faut donc que les 25 Etats ratifient le texte proposé pour qu'il entre en vigueur. Le rejet par un seul entraînera en théorie le rejet du texte. Mais les 25 gouvernements ont adop­té une déclaration annexée à la Constitution par laquelle ils indiquent que, " si à l'issue d'un délai de deux ans à compter de la signature du traité établissant la Constitution, les quatre cinquième des Etats membres ont ratifié ledit traité et qu'un ou plusieurs Etats membres ont rencontré des difficultés pour procéder à la dite ratification, le Conseil européen se saisira de l'affaire » (CIG 86/04, ADD2, p.72).

    Ce qui signifie que si, fin octobre 2006, la Constitution a été ratifiée par 20 pays, le sort de ce texte dépendra du type de pays qui l'a refusé. Or, la manière dont les gou­vernements ont traité le peuple danois (rejet du traité de Maastricht) et le peuple irlandais (rejet du traité de Nice) lorsque ceux-ci ont rejeté par référendum un traité européen fournit une indication très claire sur le respect tout relatif témoigné à l'égard de la volonté populaire lorsqu'elle contrarie les projets inspirés par le monde des affaires. Le vote alors perd sa vertu de décision sans appel et les peuples récalcitrants sont invi­tés à recommencer jusqu'à ce qu'ils votent comme il convient au patronat et à ses relais politiques.

    Ce qui s'est avéré possible avec des petits pays serait sans nul doute impossible s'il s'agissait de l'Allemagne, de l'Espagne, de la France, de la Grande-Bretagne, de l'Italie, tout simplement parce que ces pays cumulent les atouts de la superficie, de la population et du poids économique. Un refus polonais pèserait lourd, lui aussi, dans la mesure où ce pays symbolise la réunifica­tion de l'Europe.

    Un gouvernement qui a adopté le projet de Constitution peut compter sur le soutien de sa majorité parlementaire. Dès lors, chaque fois que la ratification passera par la procé­dure parlementaire, il ne fait aucun doute que la Constitution sera ratifiée.

La possibilité d'un rejet ne peut dès lors venir que du peuple lui-même lorsqu'un référendum lui accorde la possibilité de choisir. Le Danemark, l'Irlande, le Luxembourg et le Portugal ont décidé d'en organiser un. Mais on vient de voir que si les peuples de ces pays et eux seuls rejettent la Constitution, le Conseil européen trouvera une solution en vertu de la déclaration annexée à la Constitution. Par contre, les référendums annoncés en Espagne, en France et en Grande-Bretagne auront un impact déterminant.

    Un rejet britannique ne suffirait pas à remet­tre en cause le contenu de la Constitution. L'hostilité des habitants du Royaume Uni (qui n'est ni dans la zone Euro, ni dans l'espace Schengen) au principe de l'intégra­tion européenne serait avancée comme la motivation principale du rejet. C'est le statut de la Grande Bretagne dans l'Union euro­péenne qui ferait alors débat. Par contre un rejet espagnol ou français, surtout s'il n'est pas isolé et s'il ne peut s'expliquer simple­ment par des motivations nationalistes ou souverainistes ou eurosceptiques, ouvrira une crise sérieuse.

    Ce ne serait pas la catastrophe annoncée déjà par les partisans de la Constitution qui vont user de ce chantage. Contrairement à ce qu'ils laissent entendre, l'alternative n'est pas entre la Constitution ou le chaos. Si la Constitution est rejetée, les textes en vigueur demeurent d'application et assurent ainsi la continuité. Et il est important de sou­ligner que cela ne présente aucun domma­ge. En effet, en ce qui concerne l'emploi (111­97 à 102), la politique sociale (111-103 à 115), la cohésion économique, sociale et territo­riale (111-116 à 120), l'agriculture et la pêche (111-121 à 128), l'environnement (111-129 à 131), la protection des consommateurs (111­132), les transports (111-133 à 143), les réseaux transeuropéens (111-144 et 145), la recherche, le développement technologique et l'espace (111-146 à 156), la santé publique (111-179), l'industrie (111-180), la culture (111­181 ), le tourisme (111-181 bis), l'éducation, la jeunesse, le sport et la formation profes­sionnelle (111-182 et 183), aucune modifica­tion, donc aucune amélioration n'est appor­tée par rapport aux dispositions actuelle­ment en vigueur. Repousser la Constitution proposée n'affectera en rien les politiques en cours de l'Union européenne en ces matières.

    Certains disent: " Si ce n'est pas la Constitution, c'est le retour à cet horrible traité de Nice ", c'est-à-dire au traité actuel­lement en vigueur. Ils oublient qu'ils sont eux-mêmes à l'origine de ce traité. Ils oublient qu'à l'issue du sommet de Nice, la présidence française (Chirac-Jospin) avait alors célébré les résultats obtenus. La ministre française de la Justice de l'époque, la social-démocrate Élisabeth Guigou, n'a­vait pas de mots assez durs pour ceux qui osaient critiquer les résultats de Nice, et traitait par le mépris ceux qui, à cette occa­sion, déploraient le manque de lisibilité des textes24. On peut toujours se demander si le traité de Nice est à ce point mauvais, pourquoi les mêmes qui le caricaturent ainsi ont-ils demandé qu'il soit ratifié ?

    Une fois cette Constitution rejetée, l'avenir est de nouveau ouvert. Tous les spécialistes du processus d'intégration européenne sont d'accord: ce processus n'avance qu'à coup de crises. Aujourd'hui, une crise est indispensable pour rééquilibrer l'ensemble. Rejeter la Constitution proposée provoque­ra cette crise. Ce qui obligera les élus et les gouvernements à reprendre le travail. Le choc provoqué par un tel rejet forcera au respect de procédures conformes aux exi­gences démocratiques pour l'élaboration d'une authentique Constitution consacrant avec une égale intensité les conditions de la liberté et de la solidarité.

 

 CONCLUSION : Une formidable régression qui consacre une restauration conservatrice  

    La Constitution proposée révèle au grand jour la nature du projet politique baptisé « Union européenne » : se servir de l'idéal européen pour reconquérir, par le haut, ce que les élites politiques et économiques ont été obligées de concéder dans chaque pays depuis deux cents ans.

Après des siècles marqués par des hor­reurs en tous genres, l'humanité a adoptédes règles communes. Elles se retrouvent dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et cultu­rels, le Pacte International relatif aux droits civils et politiques, les conventions sociales de base adoptées au sein de l'Organisation Internationale du Travail. Certes, ces règles sont encore loin d'être respectées et appliquées. Mais elles demeurent un objectif pour tous.

    La Constitution européenne proposée renonce à certains de ces objectifs parmi les plus importants: ceux dont l'Europe même est le berceau.

    On nous propose d'accepter un texte négo­cié par les puissants et baptisé Constitution. Mais cette Constitution ne limite en rien le pouvoir des puissants. Or, c'est en Europe qu'est née l'idée d'une Constitution issue de la volonté du peuple et le protégeant contre

les puissants.

    On nous propose d'accepter un texte qui permet aux pouvoirs publics d'accorder de l'argent public aux églises. Or, c'est en

Europe qu'est née la notion de laïcité.

    On nous propose d'accepter un texte qui n'est pas une Constitution, mais un mani­feste idéologique néolibéral dont le projet est de limiter le rôle des pouvoirs publics à des questions de sécurité et de répression. Or, c'est en Europe que s'est forgée la conception d'un Etat opérateur, régulateur et redistributeur.

    On nous propose, au nom de la démocratie, d'accepter un texte qui nie le principe de base de la démocratie: tous les pouvoirs émanent du peuple. Or, c'est en Europe que ce principe a été énoncé en premier lieu.

    On nous propose d'accepter un texte qui ne garantit en rien contre les abus de pouvoir d'u­ne Commission européenne totalement au ser­vice des puissances d'argent. Or, c'est en Europe qu'a été conçu le principe selon lequel il faut que « le pouvoir arrête le pouvoir. » On nous propose d'accepter un texte qui impose l'abandon de droits sociaux et de droits collectifs consacrés dans nos Constitutions, dans nos lois et dans des trai­tés internationaux. Or, c'est en Europe que ces droits ont été conquis.

    On nous propose d'accepter un texte qui met en place toutes les contraintes légales en vue de faire disparaître les services publics qui sont les instruments permettant l'exercice de droits collectifs. Or, c'est en Europe que cette notion du service public est née.

    On nous propose d'accepter un texte qui exclut toute politique européenne sur la scè­ne internationale et qui soumet les peuples aux logiques marchandes de la mondialisa­tion néolibérale. Or, c'est en Europe que s'est forgée l'idée d'un ordre mondial basé sur le droit ayant pour vocation de protéger les plus faibles et de respecter les diversités.

   On nous propose d'accepter un texte qui s'imposera aux générations futures parce que sa procédure de modification le rend pratiquement intouchable. Or, c'est en Europe qu'est née l'idée qu'une génération doit laisser les générations futures libres de leurs choix.

Ce texte renie l'acquis européen et tue tout ce que contient l'idée d'Europe. Il renie les conquêtes politiques et socia­les obtenues au prix d'immenses souf­frances, surtout de la part des plus fai­bles. Il ne faut pas l'accepter.

    Le rejeter, c'est obliger à remettre le travail sur le métier. Car le rejet de cette Constitution n'est pas la fin de l'Europe. Il n'y aura ni vide, ni chaos: le traité de Rome de 1957, modifié par les traités successifs, demeure.

Souvenons-nous de la mise en garde de Mirabeau:

 « les hommes passent la moitié de leur vie à se forger des chaînes et l'autre moitié à se plaindre de les porter. »

Accepter cette Constitution, c'est nous aliéner et aliéner les générations à venir. C'est accepter des chaînes que nos aînés avaient brisées.

      Rejeter la Constitution proposée, c'est signifier aux gouvernements et aux élus que nous voulons une Europe euro­péenne où la solidarité s'organise dans la liberté, où l'égalité s'impose dans la diversité, où l'homme vit en harmonie avec la nature, où le rapport aux autres peuples du monde rompt définitivement avec toutes les formes de néocolonia­lisme et d'impérialisme.

 

Notes

1 Le Monde, 30 octobre 2003.

2 Document intitulé " Nous Verts alter européens » signé par les têtes de liste des Verts français aux élections européennes, 3 mai 2004.

      3 Document intitulé " Nous Verts alter européens » signé par les têtes de liste des Verts français aux élections européennes, 3 mai 2004.

Comité d'experts indépendants, Premier rapport sur les allégations de fraude, de mauvaise gestion et de népotisme à la Commission européenne, 15 mars 1999, p. 139.

5 Discours devant le TABD, Bruxelles, le 23 mai 2000.

6 Discours devant le TABD, Berlin, 29 octobre 1999.

7 Newsweek International, 1 février 1999.

8 Le Monde, 3 juillet 2004.

9 Le Nouvel Observateur, 19 juin 2003.

10 L 'Humanité, 8 décembre 2003.

11 COM (2000)580; COM(2003)270 ; COM(2004)374.

12 Pour l'Europe, Paris, Seuil, 2003 p. 143.

13 Le Monde 20 septembre 2003 et 3 juillet 2004 et Document intitulé " Nous Verts alte­r européens » signé par les têtes de liste des Verts français aux élections européen­nes,3 mai 2004.

14 Le Monde, 25-26 juillet 2004.

15 Le Monde, 20 septembre 2003.

16 Le Monde, 20 juillet 2004.

17 Le Monde, 3 juillet 2004.

18 Document intitulé " Nous Verts alter européens » signé par les têtes de liste des Ver ts français aux élections européennes, 3 mai 2004.

19 Martine Aubry, Le Monde, 6 juillet 2004.

20 Annick Lepetit, porte-parole du PS, L 'Humanité, 22 juin 2004.

21 Balligand, Migaud, Valls, Libération, 2 juillet 2004.

22 Communiqué du 13 juin 2003 signé par Pervenche Berès, Olivier Duhamel et Jacques Floch.

23 La Croix, 8 novembre 2003.

24 Bulletin d'information de 8 heures de la radio française France Inter, le 10 décembre 2000. Mme Guigou avait utilisé cette comparaison: " Celui qui a une voiture n'a pas besoin de savoir comment le moteur fonctionne» .