Remonter

 

"Je dis non...pour l'Europe.

 

S 'adressant à " ceux qui sont tentés par le non ", Laurent Joffrin [dans l'édition du " Nouvel Observateur" du 31 mars] leur offre comme alternative de " choisir la politique de Chevènement ou celle de l'association Attac : décréter que l'Europe sera républicaine et socialiste, ou bien qu'elle ni sera pas " [en revenant] " à la politique récusée, en 1983, au moment du tournant "réaliste" de la gauche, [...] pour choisir la protection aux frontières nationales et l'intervention massive de l'Etat". Bigre!

Outre que le choix de 1983 n’ était pas celui-là, mais celui de la sortie du système monétaire européen pour mener une politique industrielle autonome ayant le monde pour horizon ou au contraire celui du ""franc fort ", je souhaite qu'il soit clair aux yeux de vos lecteurs que je n'entends nullement aujourd’hui jeter l’ euro par-dessus bord,: il existe. Me définissant comme euroréaliste, je propose au contraire de réformer et muscler la zone euro en la dotant d'un véritable " gouvernement économique ", de façon à la sortir de la " mer des Sargasses " où elle s'enfonce, avec une croissance atone et plus de 10% de chômeurs. Cela suppose évidemment la réforme des statuts de la Banque centrale et la révision profonde du pacte de stabilité que la Constitution à 25.et bientôt à 28 ou 35 cristalliserait pour des lustres. Je ne crois à aucune des avancées que Laurent Joffrin semble discerner (l'assouplissement des normes budgétaires de Maastricht, .la ré écriture de la directive Bolkestein) et pas du tout à la " préservation de l'exception culturelle" : celle-ci au contraire disparaît avec la Constitution: la France devrait démontrer à la Commission par un vote majoritaire au Conseil qu'il existe " un risque de porter atteinte à la diversité culturelle ". Bref, la charge de la preuve serait renversée.

Je ne crois pas davantage à la capacité des socialistes et sociaux-démocrates à agir à l'intérieur de ce carcan libéral pour " assouplir le texte ". L'échec du sommet de Lisbonne, en 2000, où douze sur quinze des gouvernements représentés étaient " de gauche " a été révélateur: ses résultats en furent la flexibilité du travail et une augmentation illusoire de l'effort de recherche porté - par quel miracle? - de 1,7% à 3% du PIB d'ici à 2010. Le fiasco est au rendez-vous. D'Amsterdam à Barcelone en passant par Lisbonne et Nice. et la mise sur orbite à Laeken de M. Giscard d'Estaing et de sa Convention, la route pour les gauches européennes fut droite et la pente glissante.

 Je suis par contre d'accord avec Laurent Joffrin pour pointer l'absence d'une stratégie française dans la mondialisation:

.C'est ainsi que la politique industrielle a été progressivement abandonnée à partir de 1983 et remplacée, à partir de Maastricht, par une " politique de la concurrence " décrétée  par la Commission et dont l'affaire Alstom est emblématique : le commissaire Monti a longtemps refusé une prise de participation publique minoritaire dans le capital d'Alstom , et il a obtenu de l'Etat l'engagement d'un retrait d'ici à 2008 ainsi" que, de la part de l’entreprise, des cessions d'actifs pour 1,6 milliard d'euros, gros de nouveaux" plans sociaux" et des "partenariats privés ", au mépris de dispositions inscrites dans le traité de Rome qui " ne préjuge pas le statut public ou privé des entreprises ". C'est cette attitude arbitraire et arrogante de la Commission que les électeurs sanctionneront aussi le 29 mai, quel qu'ait été l'effort du gouvernement français pour limiter les dégâts.

  1. De même l'effort de recherche a été insuffisant surtout depuis le début des années 1990. Qui a relevé que la Cour de Justice européenne a vidé de son contenu le " crédit impôt recherche " que j'avais créé en 1983 et qui a porté de 800 à 3 000 le nombre des entreprises effectuant un effort de recherche, en les autorisant à déduire celui-ci de leur impôt? Depuis l'arrêt Fournier-Pharma (mars 2005), la CJCE étend la déduction à l'effort de recherche effectué à l'étranger, au nom du principe de " concurrence libre et non faussé ". Triomphe du gouvernement des juges: aucun appel n'est possible devant les peuples!  Croit -on que le contribuable français acceptera d'être mis ainsi à contribution? Ainsi sommes-nous réduits à l'impuissance, là comme ailleurs (politique monétaire, budgétaire, services publics, etc.), L'Europe libérale ne nous arme pas, elle nous désarme dans la compétition mondiale.

3. Le sommet de Lisbonne a fixé l’objectif d'une " économie du savoir la plus compétitive du monde ". Encore faut-il mettre le savoir à sa place, c'est-à-dire au centre de l'Ecole (et non l'élève). Je n'insiste pas.

Oui, le bilan historique des élites françaises présentant leur Europe comme un bouclier dans la mondialisation est lourd. En le sanctionnant, le peuple français ouvrira la voie d'une autre Europe refondée dans la démocratie des nations, une Europe à trois cercles fonctionnant sur le principe de la géométrie variable: la zone euro à 12, musclée et dynamisée, comportant des mécanismes d'harmonisation fiscale et sociale, sur la base d'un vote majoritaire. Le grand marché à 25 avec un code de bonne conduite (pas de course au moins-disant social et fiscal, moyennant des aides régionales substantielles). Et enfin les partenaires associés, du Maghreb a la Russie. Il n'y a pas de " oui de gauche " à la Constitution mais il y a un "  non républicain " , qui s'impose pour ouvrir un autre avenir.

Le débat noué en France, "nation politique par excellence" disait Marx, s'étendra à toute l'Europe si le non l'emporte. Le traité de Nice n'est certes pas bon, mais il est infiniment moins mauvais que ne le disent ceux qui l'ont signé et surtout que la Constitution, ne serait-ce que parce qu'il ne prétend pas en être une. La victoire du non donnera aux peuples européens " le temps de respirer", selon l'heureuse formule d'Hubert Védrine. La France est incontournable en Europe. Il faut avoir confiance en la France et en la démocratie. Le non donnera sa chance à une Europe refondée dans la démocratie.

J.-P. Chevènement