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L'appel des cent
Le Figaro publie intégralement le manifeste de l'Institut de l'entreprise signé par cent patrons (voir nos éditions d'hier). Ce texte a été publié dans la revue «Sociétal». Il est également consultable sur le site www.institut-entreprise.fr.

Pour les «cent» : Michel Pébereau, président de l'Institut de l'entreprise et de BNP Paribas ; Bertrand Collomb, président de Lafarge ; Dominique Amirault, président de Soleillou ; Frédéric Chaput, président de Wildcat ; Georges Vanneuville, président-directeur général de Vanneuville SA ; Michel Combes, directeur exécutif de France Telecom.
[20 mai 2005]

Pour un nombre sans cesse croissant d'entreprises et pour leurs salariés, l'Europe est devenue l'espace où se définissent leurs stratégies et où se joue leur avenir. En effet la «mondialisation» des entreprises n'est pas un phénomène homogène : même pour les plus grandes d'entre elles, celles qui réalisent plus des deux tiers voire des trois quarts de leur activité hors du territoire national, l'Europe reste encore le marché principal. Cela est plus vrai encore pour les entreprises moyennes pour lesquelles mondialisation veut surtout dire européanisation. C'est la raison pour laquelle ces entreprises, qui constituent l'ossature de notre économie, s'inquiètent du tour pris par le débat sur le référendum constitutionnel et ont décidé de s'exprimer. Elles ont besoin, pour elles-mêmes, pour leurs salariés, et pour les salariés du très grand nombre d'entreprises, souvent très petites, qui dépendent d'elles pour leur activité, d'une Europe unifiée, d'une Europe forte et d'une France influente en Europe.

La France traverse certes une crise d'identité. Elle doit à la fois moderniser ses systèmes publics et renforcer ses efforts de lutte contre le chômage et l'exclusion. En dépit de ces difficultés, elle reste l'un des pays du monde où le niveau, la qualité et l'espérance de vie sont les plus élevés. Ses atouts pour l'avenir sont innombrables, tant en termes de dynamisme économique que de potentiel intellectuel et d'infrastructures publiques. Le sens de la solidarité et le goût d'entreprendre sont les deux piliers de la prospérité passée, présente et future de notre pays.

Le projet Européen, qui n'est ni ultralibéral ni collectiviste, est le meilleur projet pour notre avenir.

C'est un projet ambitieux, généreux, dynamique et humaniste. Il est porteur de paix et de progrès pour l'ensemble des Français comme pour l'ensemble des Européens. La France commettrait une grave erreur en contrariant la construction européenne pour cause de malaise existentiel ou de difficultés conjoncturelles. C'est à l'intérieur de l'Europe qu'elle s'est hissée depuis cinquante ans parmi les pays les plus prospères du monde, et c'est à l'intérieur de l'Europe que réside pour elle le meilleur futur possible, dans un juste équilibre entre dynamisme et protection, entre modernité et tradition, entre épanouissement culturel et enrichissement matériel.

Les entreprises, source essentielle de toute création de richesse et d'emplois, sont un élément essentiel de cet équilibre.

C'est l'intégration progressive de l'espace économique européen qui a permis de constituer des groupes français de taille mondiale car ils ont bénéficié d'un marché intérieur équivalent à celui auquel sont adossées depuis longtemps les entreprises américaines. C'est l'existence de ce marché qui permettra à des entreprises, aujourd'hui moyen nes, d'accéder à la dimension mondiale. Dans ces conditions, l'élargissement aux pays d'Europe orientale ne doit pas être perçu comme un risque mais comme la chance d'intégrer dans l'Europe des marchés en forte croissance potentielle compte tenu du retard économique de ces pays. L'exemple fourni par l'Espagne, le Portugal et l'Irlande est, de ce point de vue, très instructif : pays à bas salaires à l'origine, ils sont vite devenus des clients à haut pouvoir d'achat.

L'Europe elle-même doit être forte dans le monde. Ce n'est pas une Europe faible qui aurait pu obliger les Etats-Unis à renoncer aux privilèges fiscaux considérables dont bénéficiaient les entreprises américaines exportatrices, qui aurait pu faire reculer Microsoft, qui pourra faire valoir les droits d'Airbus face à Boeing ou calmer les ardeurs exportatrices de la Chine. Les entreprises européennes et leurs salariés ont besoin d'être défendus efficacement dans les organismes de régulation internationaux, notamment à l'OMC, face aux blocs nord-américain et asiatique.

Les entreprises françaises et leurs salariés ont besoin d'une France influente en Europe. L'espace social européen reste très hétérogène et les modèles sociaux eux-mêmes sont significativement différents : le modèle anglo-saxon est très éloigné du modèle d'Europe continentale et pour les pays d'Europe de l'Est il est encore en voie d'élaboration. En matière sociale le point d'équilibre n'est pas stabilisé et il se déplace en fonction de la capacité de négociation des Etats. On a pu le constater une fois encore avec la remise en cause de la directive sur les services. Les entreprises françaises savent qu'elles doivent rester compétitives mais elles savent aussi que pour le rester, elles doivent contribuer à la préservation du modèle social français auquel sont attachés leurs salariés. Une France amoindrie par un non au référendum pèsera moins dans sa volonté de faire prévaloir un modèle européen qui intègre l'essentiel des valeurs sur lesquelles s'est construite notre société.

Enfin, la France dispose d'atouts décisifs face à ses concurrents, mais ils ont besoin de l'Europe pour exprimer pleinement leur puissance. On sait, par exemple, l'enjeu que représente la recherche pour notre niveau de vie et notre modèle social. Si nous voulons continuer à vendre du travail cher au reste du monde nous devons le doper à la recherche et à l'innovation. Or, nos meilleurs chercheurs, formés dans nos universités, ne résistent plus au formidable pouvoir d'attraction des universités américaines. Aucun pays européen considéré individuellement ne peut offrir à ses chercheurs l'environnement qui leur est nécessaire pour conduire leurs recherches. Seule l'Europe peut définir et mettre en oeuvre la politique de recherche qui nous permettra de rester compétitif.

Un non au référendum constitutionnel n'entraînera probablement pas des conséquences négatives perceptibles dans l'immédiat. En revanche, il cassera la dynamique dont nous avons collectivement tiré un profit considérable depuis quarante ans. Une équipe qui se recroqueville en défense n'est pas assurée de ne pas encaisser de but mais elle est certaine de ne pas en marquer.