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SOCIAL Le camp du non au référendum dénonce la révision de la directive de 1993 et réclame une durée maximale ferme

Temps de travail : la directive qui divise l'Europe

Bruxelles : de notre correspondant Pierre Avril
[11 avril 2005]

Très loin de se préoccuper du sort des 35 heures et des assouplissements apportés par la droite française à la loi Aubry, l'Europe se pose aujourd'hui une question toute simple mais qui est susceptible de faire bondir les syndicats de l'Hexagone et les adversaires de la Constitution : faut-il limiter la durée du travail à l'échelle de l'Union et dépasser au besoin les sacro-saintes 48 heures hebdomadaires, la limite communautaire généralement admise ?

Cette interrogation divise les députés du Parlement européen et les Etats membres rassemblés au Conseil, les deux institutions chargées de légiférer.

Les discussions sont aujourd'hui dans l'impasse, ce qui n'empêche pas le camp français du non au référendum d'expliquer combien l'Europe est libérale, surtout lorsqu'elle soutient la directive Bolkestein et oblige les salariés européens à travailler au minimum quatre heures de plus par semaine que leurs homologues français.

L'interprétation est sans doute caricaturale, mais le socialiste Henri Emmanuelli fut le premier à agiter le nouvel épouvantail de la directive «temps de travail».

Depuis, la polémique est restée circonscrite. Comme c'est la coutume en matière sociale, ce texte ne vise pas à uniformiser les conditions de travail dans l'Union européenne, mais bien à instaurer un filet minimum de protection. Il intéresse au premier chef le salarié britannique, bien souvent taillable et corvéable à merci, mais pas son collègue français qui, dans tous les cas, sera couvert par le Code du travail.

C'est pourquoi, a contrario, le gouvernement britannique souhaite assouplir au maximum la législation européenne, afin que son économie conserve un avantage compétitif en Europe. Les Britanniques sont notamment appuyés par les Maltais, les Slovaques et les Polonais. A l'inverse, la France, la Suède ou la Belgique, notamment, craignant le dumping social et bénéficiant de législations plus protectrices, veulent que l'alignement s'effectue par le «haut». Ces pays militent donc pour un durcissement du texte. La majorité qualifiée étant nécessaire pour trouver un compromis, l'impasse est pour l'instant totale.

Dans l'immédiat, tant la Commission, à l'initiative de la directive (en l'occurrence la version modernisée d'un texte de 1993) que le Conseil ont les yeux rivés sur le Parlement européen. Or, à l'inverse des Etats membres, les eurodéputés semblent sur la voie d'un accord. Ces derniers seraient prêts à abandonner le régime actuel, si profitable à Londres et qui permet au Royaume-Uni de déroger à la législation européenne prévoyant une limitation à 48 heures de la durée hebdomadaire. Cet «opt out», tel qu'il est nommé dans le jargon communautaire, serait supprimé en 2010.

En contrepartie, le mode de calcul de cette durée hebdomadaire serait modifié (sur un an et non plus sur quatre mois), ce qui permettrait de répondre aux besoins de flexibilité des entreprises, lorsque ces dernières font face à d'importantes fluctuations d'activité. Un vote favorable pourrait intervenir le 13 mai à Strasbourg, mais cette issue heureuse ne sera peut-être pas suffisante pour modifier ultérieurement le rapport de forces au Conseil.

«On saura sur quelles bases avancer, mais on ignore si cela suffira à faire bouger les positions», explique une source diplomatique européenne.

La présidence luxembourgeoise de l'Union européenne n'aura sans doute pas assez de temps pour surmonter les clivages et le sujet n'est pas inscrit au menu du conseil européen «emploi» du 3 juin prochain. Le 1er juillet suivant, c'est la Grande-Bretagne qui assurera alors cette présidence jusqu'à la fin de l'année et elle ne fera sûrement pas de zèle en la matière.