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Corinne Maier, auteur de « Bonjour paresse»

« Je rêve à une contre-Europe, une Europe des gens qui fument »

 

 

Votre livre Bonjour paresse (éd. Michalon, 2004) a été traduit dans la plupart des pays euro­péens. Vous êtes allée récem­ment en Suède, en Italie, en Espa­gne, en Pologne. Quelle vision de l'Europe en retirez-vous?

C'est vrai, je me déplace beau­coup pour des séances de signatu­re. Et partout où je vais, les gens me posent et se posent les mêmes questions. A ma grande surprise, d'ailleurs, car je pensais que les interrogations seraient plus diffé­renciées, qu'on me rétorquerait: «Chez nous, ce n'est pas comme cela que les choses se passent. »Au ci fond, on est sans doute plus uni que l'on ne le pense.

Ce que je constate, c'est qu'il y a une Europe qui s'interroge, au-delà de la feuille de paie tous les mois, du petit train-train. Il y a plein de gens qui traînent les pieds, qui se disent: « Tout cela n'a aucun sens. A quoi cela rime de tra­vail/er uniquement pour que les entreprises soient compétitives? Nos sociétés sont arrivées grosso modo à un certain niveau de confort matériel. Qu'est-ce qu'on fait maintenant? » La question cen­trale, c'est: qu'est-ce que l'on veut dans l'avenir? Pendant long­temps, il y a eu des réponses, aujourd'hui on n'en a plus. Du coup, il y a un certain désenchante­ment. Ce n'est qu'une intuition, mais j'ai l'impression qu'en Fran­ce, comme chez nos voisins, le phé­nomène est le même : les classes moyennes s'ennuient.

 

Cette question du sens, pour­quoi revient-elle maintenant?

Pour qu'un pacte social fonction­ne, il faut que les gens considèrent qu'ils ne sont pas floués. Aujour­d'hui, cela ne leur semble pas évi­dent. En Pologne, j'ai été frappée par les réflexions de certains de mes lecteurs. Ils pensaient que l'Ouest et l'entreprise leur appren­draient à travailler, que le système y était plus rationnel, que c'était un modèle où chacun était appré­cié en fonction de sa valeur. Or, ils se rendent compte que ce n'est pas le cas. Que l'entreprise n'est pas plus rationnelle. Que des person­nes sont licenciées, que d'autres restent, que l'on ne sait pas trop pourquoi dans le fond. Tout cela ramène la question du sens.

 

Vous vous sentez plutôt européenne ?

Je suis sensible à l'idée qu'un pays ne doit pas être replié sur sa propre connerie. C'est bien d'être dans un vaste ensemble. Moi je rêve à une Europe de la paresse, une sorte de contre-Europe, à la fois antinomique et complémentai­re de celle qui nous est proposée. Une construction bâtie sur des rela­tions non hiérarchisées,celle des gens qui ne sont pas d'accord, des gens qui font des farces, des gens qui fument.

 

Vous allez voter non. Est-ce au nom de cette Europe de la pares­se, ou à cause du traité?

J'ai une vision assez neutre du traité constitutionnel. S'il n'y avait pas Raffarin, je pourrais à la limite m'abstenir. Pour moi, ce référen­dum est avant tout un « raffarin­dum ». Il faut que ces gens-là par­tent. Qu'on nous sorte ce bonhom­me, cela ne peut plus durer! Mon vote non, c'est vrai, est lié au contexte politique. Je l'assume totalement.

Et puis, ce qui m'énerve c'est qu'on nous dit: «Vous avez le choix, mais il faudrait voter oui. » De façon générale, je préfère dire « non» à « oui », c'est mon côté sale gosse. Je reconnais que ce n'est pas forcément adulte. Mais à force de s'entendre répéter qu'il faut l'être - adulte -, on a envie de voir ce qui va se passer si cette fois on ne l'est pas. On se dit: «Là­ haut, cela va les faire chier. »

 

Propos recueillis par Caroline Monnot