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Laurent Fabius : "Il y a un plan C de la droite pour l'après-oui"

LE MONDE | 21.05.05 | 12h37  •  Mis à jour le 21.05.05 | 13h19


Comment appréhendez-vous la fin de la campagne ?

Plusieurs éléments me frappent. D'abord, l'intérêt des Français pour le débat : partout on discute, c'est positif. J'espère que cette vitalité démocratique se traduira par une participation élevée. Je ressens que l'électorat traditionnel de la gauche, ouvriers, employés, couches moyennes, une bonne partie de la jeunesse, choisit plutôt le non sur une base à la fois proeuropéenne et en faveur d'une Europe différente, plus sociale, citoyenne.

Je constate aussi que plusieurs arguments développés par le oui peinent à convaincre. "Votez oui, sinon vous n'avez rien compris au texte" : cela sent un peu l'arrogance. "Oui, ou vous n'êtes pas européen" : beaucoup de proeuropéens vont voter non. "Oui, car les autres pays disent oui" : alors pourquoi nous consulter si nous n'avons aucun choix ? "Oui, et il sera possible de renégocier ensuite" : dans ce cas, pourquoi cela serait-ce impossible avant ?

Enfin, je trouve qu'on entend peu les organisations patronales, pourtant unanimes à soutenir ce texte sur une base voisine de Nicolas Sarkozy, qui a récemment eu le mérite de la franchise : il faudrait dire oui à la Constitution pour remettre enfin en cause le modèle social français. Eclairant !

Au PS, vos camarades du oui vous reprochent d'agiter les peurs...

Ce n'est pas moi qui dérange, ce sont les faits. Nous sommes dans un nouveau contexte européen. Une série de règles qui étaient légitimes à six, puis à quinze pays de niveau social homogène, lorsque nous avons développé l'Union européenne, ne fonctionnent plus. Appliquées dogmatiquement à 25 ou 30 pays, dont la moitié ont des niveaux de salaires, de protection sociale et de fiscalité sur les entreprises à rebours des nôtres, elles risquent de nuire à tous les Etats membres, anciens ou entrants. On cite souvent l'exemple de la concurrence "libre et non faussée" : ce principe peut être positif quand les économies sont comparables, mais son application mécanique risque de conduire au dumping lorsque les niveaux sociaux et fiscaux sont radicalement différents. Les salariés et les entrepreneurs, pas seulement en France, le savent car ils sont les plus exposés.

Avec une telle argumentation, on vous accuse de racisme et de nationalisme. Comment réagissez-vous ?

J'ai toujours refusé ce type de polémique. La gauche n'a évidemment rien à voir avec l'extrême droite. Mais les délocalisations, ça existe ! L'élargissement à 25 est totalement légitime, encore faut-il l'accompagner financièrement. C'est ce que nous avions fait avec l'Espagne et le Portugal. Je constate et je déplore que Jacques Chirac, chef de l'Etat et chef du oui, refuse cet effort qui devrait être massif. Il veut un budget européen réduit, ce qui aggravera la compétition vers le bas. Plus largement, la question posée est celle de la régulation mondiale. Le vrai internationalisme, cela ne peut pas être de mettre en concurrence "libre" un salarié chinois, un roumain et un français et de dire : "Que le moins cher gagne." Il faut des règles. Pour les mettre en place, il faut une volonté politique. Elle n'est pas présente avec assez de force.

Les divergences profondes au PS vont laisser des traces ?

Je reste convaincu qu'il n'y a de possibilité de succès que dans le rassemblement des socialistes et de la gauche et dans le respect de chacun. Je pense, j'espère que tous le comprendront.

Que pensez-vous de la controverse sur le plan B ?

Dès lors qu'un ou plusieurs pays vont dire non, la clause de rendez-vous est prévue par les textes eux-mêmes ­ c'est la déclaration 30, page 186. Le vrai scoop, c'est plutôt ce que j'appellerai le plan C : le plan caché de la droite pour l'après-oui. J'ai recensé une première liste de mesures retardées qui ressortiront dès après le 29 mai si le oui l'emporte : publication des lettres-plafond sur la réduction des effectifs des fonctionnaires, négociation avec les syndicats sur le contrôle et les sanctions des chômeurs, décret sur la pénalisation des patients n'ayant pas désigné de médecin traitant, réunion de la commission établissant les comptes de la sécurité sociale, augmentation des tarifs de GDF... J'abrège... Sans oublier, au niveau européen, la nouvelle mouture de la directive Bolkestein-Barroso, le budget plafonné à 1 % du PIB, la réforme des aides aux territoires pénalisant la France, le texte sur la libéralisation des transports urbains, etc. Il y a tout cela dans la hotte du oui.

En cas de victoire du non, quelle recomposition voyez-vous à gauche ?

Si les Français, à commencer par nos électeurs, disent non, tout le monde devra en tenir compte.

Mais vous, quel rôle jouerez-vous ?

Il faudra travailler dans le sens de l'unité et du rassemblement.

S'il y a un chef du oui, il y a bien un chef du non. C'est vous ?

Je ne revendique aucun titre.

Dominique Strauss-Kahn affirme qu'à l'occasion de ce référendum se joue une bataille décisive entre le réformisme et la radicalité. Où vous placez-vous ?

Ce débat a été tranché depuis longtemps : nous sommes réformistes. Mais si on veut un réformisme effectif, il faut que les moyens correspondants soient au rendez-vous. Exemple : sur la recherche, clé de l'avenir, si vous ne disposez pas de crédits pour la financer, vous restez dans le virtuel. Même chose pour la stratégie industrielle de l'Europe. Et pour les délocalisations ou le dumping : comment les combattre sans règles fiscales et sociales partagées ? Il ne faut pas seulement se fixer des objectifs justes, ici l'Europe sociale : il faut que les moyens et les règles ne soient pas contradictoires avec l'objectif affiché et qu'ils permettent d'y parvenir. Mais pour moi, le principal clivage reste celui qui sépare la droite et la gauche